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Ça papote (encore) politique dans les bureaux

Mardi 2 mai 2023



Contrairement au lendemain du premier tour des territoriales, mes collègues observèrent un temps de réserve, comme s’ils étaient tétanisés par ce qui s’était passé ou comme si le long week-end les avait rabougris.


À regarder les visages, je distinguais les collègues qui s’étaient laissé hâler par des rayons de soleil plutôt rares, ceux qui avaient dû aller haler la voiture d’un parent de Teahupoo emportée dans le lagon et ceux encore qui avaient fini par aller voter en râlant devant l’offre peu alléchante. Pensez donc. Il y avait des dirigeants bleus qui ne savaient plus quelle nuance de bleu ils proposaient, tantôt un bleu vif qui déchire, tantôt un pâle sang bleu qu’on pourrait transfuser sur la société. Il y avait des dirigeants rouge qui avaient dilué leur hémoglobine dans un jus d’orange amer, proposant donc non plus une tisane énergisante mais un cocktail déjà vu depuis quelques décennies. Enfin, il y avait un duo qui se parait de vert alors qu’il avait proposé l’an dernier plusieurs nuances de brun en soutenant tantôt Marine, tantôt Zemmour. Ceux-là n’avaient pas compris que les nuances de brun ne s’effaçaient pas.


C’est Agnès qui ouvrit le bal. Cette fois elle était toute de blanc vêtue. Je ne l’avais jamais vue ainsi, mais je la soupçonnai – puisqu’elle faisait partie des hâlées – de vouloir mettre davantage son teint en valeur que sa couleur politique. Elle semblait radieuse et expliqua ses choix vestimentaires : « avec Tamatoa, nous avons fait la paix ». Deux semaines auparavant, il l’avait cognée parce qu’elle avait « osé » voter pour les bleu. « Oui, dit-elle, Tamatoa m’a félicitée et a admis que j’avais eu raison avant tout le monde »… Nous nous sommes tous réjouis pour Agnès en nous interrogeant si la paix entre eux serait aussi durables qu’entre les courants qui irriguaient les partis politiques.


L’attaque partit de Karl : « alors chef, tu ne seras pas ministre ? ». Le chef n’avait pas dormi la nuit de dimanche à lundi et le 1er mai il avait noyé son chagrin dans autre chose que l’eau de coco. « Chef ! tu es pourtant feti’i avec un des députés ! » s’aventura Yolande qui n’avait jamais réalisé que de nos jours la compétence l’emporte sur les alliances (ou du moins le devrait). « Foutez-moi la paix et moi je vous garantirai la paie ! Au boulot, bande d’assistés ! ». Je rougis de satisfaction. Mon chef lisait donc mon blog sans savoir qui se cachait derrière Maeva (1). Je fus moins flattée qu’il me qualifiât d’assistée, mais peut-être ne me visait-il pas personnellement.


Maintenant que tout le monde est conscient des dangers que l’intelligence artificielle fait courir (l’IA que les Polynésiens connaissent bien au travers de l’expression « ia » ou « i-a » qui marque la surprise et l’incrédulité…), on ne peut que louer la clairvoyance de Maeva qui s’est limitée à l’intelligence superficielle beaucoup moins dangereuse, plus drôle aussi. Cette fois encore, l’intelligence superficielle aide Maeva à concevoir les notes et explications pour les moins doués des lecteurs, les lectrices étant naturellement douées.


Tetuanui, l’intellectuel qui avait tellement apprécié le roman du futur président (voir article précédent), lança une invective : « quel est l’imbécile du CSA qui a bloqué les émissions culturelles sur les chaînes du service publique sous prétexte de ne pas influencer les électeurs des Tuamotu ? ». Je croyais entendre Nunui, mon compagnon, qui s’était scandalisé que les émissions culturelles en question aient été coupées, du moins amputées d’un bon quart d’heure, en laissant sur l’écran un appel au respect du code électoral ! En fait d’émissions culturelles, il s’agissait de « Questions pour un Champion » sur la 3 et « Tout le monde veut prendre sa place » présenté par Laurence Boccolini! Freddy se lança dans ses habituels tentatives de ressembler à Paul Rimbaud ou Guillaume Apollinaire :

La culture

C’est comme la sépulture

Plus elle dure

Moins on en a cure

Je sais de quoi je parle

Car au cimetière d’Arles

Se dispersent les restes

De poètes modestes

Heremoana

Du Tapura

N’est plus ministre de la culture

C’était pour lui une sinécure

Même s’il a valorisé les orero

Ce n’était pas, de la culture, le héraut.


Aldo l’interrompit : « c’est trop facile de critiquer ceux qui ont fait peu avec beaucoup d’argent ». Tout le monde éclata de rire. Aldo rougit (genre Tapura avant mélange) : « vous m’avez tous compris ; j’aimerais vous voir moi, au ministère de la Culture alors que la plupart d’entre vous n’a jamais dépassé la page 12 d’un Que sais-je ». Et vlan ! Je ne savais pas qu’Aldo avait une connaissance encyclopédique… Comme quoi, il faut des grands événements pour qu’on découvre qui sont nos proches… Il aurait sans doute été un grand ministre de la culture si son parti n’avait connu une telle déconfiture (Bon, je vous accorde que je pourrais mieux faire dans le genre jeu de mots).


Steeve semblait ravi, non pas de la victoire des bleu, mais de défaite de ceux qu’il soutenait voilà encore quelques semaines. « Trop vieux, trop coincés, trop injustes ! » maugréa-t-il quand quelqu’un évoqua les « qualités » de ceux qui avaient gouverné le pays. Je tentai de savoir ce qu’il avait voulu entendre par « trop injustes ». Il hésita puis se lança dans une diatribe en reo ma’ohi qui me fit penser à un parau (2) protestant. Yvonne dut avoir la même pensée que la mienne car elle interrompit le bonimenteur (qui, pourtant, peut parfois énoncer des vérités) par un bruyant « Amen ».


(2) Parau = sermon, prêche.


Le chef prit alors la parole pour nous inciter à reprendre le travail : « vous allez en ch… alors, préparez-vous ! ». La vulgarité lui seyait mal, mais elle en disait long sur son optimisme à l’égard du nouveau gouvernement.


Mercredi 3 mai 2023


J’avais sans doute préjugé des sentiments de mon chef sur les résultats des élections. Ce mercredi, il arriva un peu en avance, comme moi-même du reste. Je ne sais pas pourquoi j’étais pressée de retrouver le bureau. « Maeva ! me dit-il, as-tu lu ce matin l’article sur la stratégie bornée du Tapura?». J’avais lu en effet cette page et le titre m’avait suggéré un bon mot que je transmis à mon « supérieur » (qualificatif qui aura cours tant que l’Administration ne sera pas profondément réformée). « Tu sais, lui dis-je, à la place du journaliste j’aurais écrit Une stratégie mort-née ». « Comme la sauce du même nom » rétorqua-t-il. J’ignorais que mon chef s’intéressait à la cuisine et à la sauce mornay. Je vous l’ai dit, les événements nous révèlent bien des aspects méconnus de nos proches.


Les collègues arrivèrent encore plus silencieux que la veille. Ils réalisaient sans doute que les conditions de travail allaient changer pour le meilleur et pour le pire selon qu’on soit optimiste ou pessimiste. Mes liens avec la Calédonie me font penser que les capacités d’adaptation des individus est infinie (surtout pour les individues (pourquoi le mot individu ne serait-il pas genré ?).


Après quelques échanges sur les malheurs de nos familles de Teahupoo, nous nous rendîmes compte que Steeve était absent. Nous doutions qu’il fût malade car le gaillard est solide. Effectivement, il arriva avec vingt minutes de retard, essoufflé et causa la stupeur : il était affublé d’un lava-lava, ce qui ne semblait correspondre à son « style » d’habillement plutôt orienté « sport ». Il reprit son souffle et, devant, les collègues bouches bées se justifia : « oui, j’ai dû faire plusieurs magasins avant d’en trouver un ». Il désignait par « un » son lava-lava qui semblait sorti d’une arrière-boutique de Papeete. « Bien oui ! quoi ! dans les cinq ans qui viennent ça peut être utile ! ». Steeve n’avait pas retourné sa veste, mais…


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