Avec ma propension à la dérision et à la provocation, je n’ai pas pu m’empêcher de jouer sur les sonorités. J’aurais même pu le faire à la belge : « Desmond Tutu s’est tu, sais-tu seulement ? ».
Pourtant l’annonce du décès de l’archevêque anglican d’Afrique du Sud m’a laissée sans voix, vraiment. Et je n’ai pas l’habitude de faire l’éloge des hommes d’Église, pas plus que des femmes d’Église (encore que la rabbine Delphine Horvilleur qu’on voit à la télé de temps à autre me plaît parce qu’elle n’est pas radine de coups de gueule).
Nelson Mandela disait de l’archevêque qu’il était « la voix des sans voix », comme un autre aurait lâché : « la voix des sans dents ».
En 1984, tandis que sévissait encore l’apartheid instauré depuis 1953, il reçut un très mérité prix Nobel de la paix. C’était qu’après Gandhi et Martin Luther King, une autre grande voix prônait l’action déterminée contre les injustices, mais par la non-violence. Il aurait inventé l’expression « nation arc-en-ciel » pour qualifier l’Afrique du Sud et démontrer l’inanité du racisme. L’apartheid vaincu, il poursuivit son combat contre toutes les formes de discrimination. Il se dressa contre l’homophobie. Il s’éleva contre Tony Blair et George Bush Jr qui envahirent l’Irak en avançant un énorme mensonge, mais en priant Dieu de leur accorder la victoire. Il s’en prit aux successeurs de Mandela, aux ministres noirs aux salaires mirifiques et à leurs voitures de luxe. Il attira l’attention sur les risques que le réchauffement climatique faisait courir à l’humanité et surtout aux plus pauvres. Certes, il eut quelque formule sévère sur l’État d’Israël, mais au nom du respect du peuple palestinien.
Quand il présida la commission Vérité et réconciliation après la fin de l’apartheid il écrivit : « il n’y a pas d’avenir sans pardon ». Et je serai claire, il n’évoquait surtout pas ces mouvements qui « exigent » des demandes de pardon de la part des autres, alors que Desmond Tutu proposait aux victimes de pardonner à ceux qui les avaient offensées. Si vous voyez où porte mon regard Takin !
J’avais été sensibilisée aux problèmes de l’Afrique du Sud, certes après la fin de l’apartheid, mais dans ma famille on était fasciné par ce pays. Mon papy tahitien m’avait incitée, lors de vacances, à lire Pleure, Ô pays bien aimé, le célèbre ouvrage d’Alan Paton paru en 1947. J’avais été époustouflée par ce récit dramatique. Mon papy de Nouméa, lui, me parlait de Mandela parce qu’il souffrait de la situation de la Calédonie. Il avait tant espéré du slogan de l’Union calédonienne : « Deux couleurs, un seul peuple ». Tandis que Mandela n’était pas encore président, il lui avait écrit pour lui proposer la formule. Il reçut une réponse quelques mois plus tard, fort aimable, dans laquelle néanmoins Mandela prenait quelque distance. « Attention, écrivait-il, une telle formule finit malheureusement par une autre : deux couleurs, un seul profiteur ». Mon papy avait lu les ouvrages de Breyten Breytenbach qui avait été emprisonné à cause de son action anti-apartheid. Il me parlait aussi du docteur Christiaan Barnard, pionnier de la transplantation cardiaque, fort engagé dans le même combat.
J’ai toujours pensé qu’un homme comme Desmond Tutu manquait à la Polynésie, mais surtout à la Calédonie.
Je ne peux terminer cet hommage aux militants antiracistes d’Afrique du Sud, sans cette réflexion de l’humoriste Pierre Desproges (comme vous le verrez je l’apprécie beaucoup) : « dans ma bande de copains, personne n’est raciste, à part Ted, bien sûr ».
crédits photo: wikipedia (domaine public)
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