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Une main courante

Je le répète souvent : la langue française est extraordinaire. Depuis quelques temps on entend cette expression « main courante ». Ce qui est courant, en langue de Molière, c’est ce qui est habituel. Une main courante serait alors une main on ne peut plus ordinaire, banale, mais cela aurait-il seulement un sens ?

Quant à se focaliser sur le verbe courir, on voit mal une main courir… Zut, je n’y avais pas pensé ! En fait, l’expression est maintenant employée à propos de tentatives d’attouchements ou de violences intra-familiales. Alors, on comprend bien la main se baladant plus ou moins rapidement sur des zones érogènes ou frappant là où ça fait mal.


Mais on n’y est toujours pas. L’expression appartient au domaine judiciaire. Une main courante se distingue de la plainte en ce qu’elle se contente (si je puis dire) de signaler des faits qui, ultérieurement pourraient faire l’objet d’une plainte en bonne et due forme. Résultat : cela donnerait un curieux dialogue tel qu’il suit.


« Oui, Mademoiselle, si j’ai bien compris, dit le policier à l’accueil (encore un mot bien choisi car le plus souvent on y cueille les gens plutôt qu’on ne les y accueille) l’employé de l’électricité ne s’est pas contenté de relever le compteur, il a aussi relevé votre jupe, c’est ça ? »

« Euh, oui, mais il ne s’est pas arrêté là ».

« Mais encore ! ».

« Il m’a dit que je le survoltais et pour preuve, il m’a montré son… ». Silence gêné.

« Votre déposition manque de précision. Comment voulez-vous que je rédige votre demande ? ».

« Laissez des blancs sur l’ordinateur et j’irai les remplir avec les mots qu’il faut ».

« Bon, alors vous déposez quoi, une plainte ou une main courante ? Parce que si je comprends bien, vous n’avez été que partiellement gênée sinon vous engageriez une plainte ».


Et voilà le drame des femmes qui ne sont pas entendues par les hommes, je dirais même qui sont sous-entendues par les hommes.


Sans tomber dans le féminisme le plus éculé, il faut admettre qu’il n’est pas facile, dans ce monde d’hommes actuel, pour les femmes de simplement être prises au sérieux.


Encore une fois, sur un sujet aussi grave, peut-on faire de l’humour ? Oui, surtout si cela vient d’une femme. Elle peut répondre par l’humour aux insinuations graveleuses des mecs (fussent-ils policiers) et se moquer du système judiciaire qui aurait bien besoin d’une réforme. Et franchement, l’expression « main courante » prête à rire et à confusion.


Aux attouchements répétés, appuyés et prolongés, il faudrait plutôt déposer une main de masseur, voire une main tenue (trop longtemps), voire une mainmise.


Aux attouchements qui prétendraient être les prémices d’une construction amoureuse, il faudrait déposer une main-d’œuvre.


Contre celui qui, se prenant pour Tartuffe, une main sur un titi un rien trop apparant, déclarerait « cachez ce sein que je ne saurais voir », il faudrait déposer une main couvrante.


Contre celui qui vous coince entre lui et votre bureau, il faudrait dénoncer une prise en main(s).


Contre celui qui vous met une beigne, il faudrait déposer une main pesante ou une main-forte ou encore une main levée.



Mais je vais de plus en plus loin dans la gravité des atteintes à notre intégrité et j’ajouterai… à notre bon plaisir. Et là, à un certain niveau, plus question de dérision, surtout quand on atteint le stade de la main armée.



Je suis cependant parvenu à mon objectif : démontrer que le vocabulaire judiciaire ne permet pas sereinement de se faire entendre dans certaines circonstances. Les hommes ne savent que trop qu’ils sont protégés de multiples façons et, qu’après une dramatique scène, l’annonce que la femme offensée irait déposer une main courante les fera éclater de rire. Je les vois d’ici singer ce que peut être une main courante… comme celle qui a été l’objet du délit.


J’ai bien une proposition de réforme après une recherche sur internet. Je trouve que du temps de la royauté, c’était bien que le symbole du pouvoir royal judiciaire fût une main de Justice comme celle que présente l’illustration. On pourrait donc ouvrir dans les commissariats des mains de Justice.


Mais à y regarder de près, je me rends compte que la forme de la main va donner des idées à tous les pervers du monde. Et plus encore quand ils verront la main à l’extrémité du bâton royal. Imaginez les fantasmes que cela engendrera, surtout avec la possibilité de tenter des vilenies de loin sur le modèle de la perche du selfie. Finalement, le remède que j’ai proposé est pire que le mâle. Pauvres de nous, les filles !



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