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Papy n’est plus




Papy nous a quittés. La nouvelle fut aussi brutale que le fut son décès. Il partit comme il avait toujours été : goguenard et provocateur.

 

Il ne quittait plus guère son fauteuil dans la journée, tantôt regardant la télévision et apostrophant les acteurs des films et séries : « Couillon, t’as pas compris qu’elle va te cocufier ? » ou les journalistes et hommes politiques (« T’as pas honte ? Affameur ! »). Mes lectrices et lecteurs se souviennent sans doute des invectives qu’il lançait lors du sacre de Charles III. A l’adresse des illustres personnages qui paraissaient à l’écran en costumes d’apparat, il lançait : « Emplumé(e)s ! ».

 

Le triste jour de la disparition de Papy, ce dernier s’était amusé des chamailleries qu’il avait avec mamie, presque quotidiennes d’ailleurs. Papy regardait un documentaire sur la Namibie, un pays qu’il aurait aimé visiter. Mamie, entre deux tâches ménagères, jeta un œil sur l’écran.

-       C’est beau ce paysage ! s’exclama-t-elle. C’est quel pays ?

-       Le désert du Kalahari ! répondit papy avec l’idée manifeste d’embrouiller son épouse.

-       Ah ! Je ne savais pas qu’un désert avait le même nom que la vice-présidente des États-Unis !

-       C’est pas possible, hurla Papy comme s’il était scandalisé. Elle confond le désert du Kalahari avec Kamala Harris [1] ! Une blonde ! J’ai épousé une blonde !

 

Papy était toujours fanatique du groupe Téléphone et se mit à chanter à tue-tête :

J’ai rêvé d’un autre monde,

Où il n’y aurait pas de blondes !

 

Mamie attendit quelques secondes, cherchant la réplique, car en ce domaine, elle n’était pas en reste, puis elle lança :

-       Continue comme ça et c’est toi qui ne seras plus de ce monde !

 

Elle attendait la réplique à la réplique et s’inquiéta de ne pas l’entendre. Aurait-elle cloué le bec de son mari ? Elle s’approcha du fauteuil. C’était fini. Papy était parti ailleurs…

 

Mamie s’en veut encore, non pas d’avoir répondu sèchement à papy, mais d’avoir prononcé des paroles qui sonnaient comme le glas. Nous tentons encore de la consoler en lui rappelant – et ce ne sont pas des paroles en l’air – combien papy l’avait aimée et combien il avait été heureux avec elle près de soixante ans.

 

J’ai du mal à réaliser qu’il ne m’accueillera plus à la presqu’île avec ses mots bien à lui, toujours surprenants, mais tellement chargés d’amour.

 

À son âge, il attendait la fin très sereinement et savait qu’il lui faudrait prévoir ses funérailles. Il avait rédigé un texte qu’il appelait « mes volontés suprêmes ». C’était court et percutant. Pas de veillée, pas d’exposition de son corps (« Si des gens veulent voir une momie, il y a des musées pour ça ! »). Comme il avait gardé une certaine admiration pour le président Mitterrand, il écrivit : « la lecture de deux versets de la Bible est possible devant ma tombe » [2]. Il refusa une cérémonie au temple, lui qui, peu porté sur la religion, malgré une tradition familiale, n’avait eu de cesse de pourfendre les Églises, et plus encore les sectes. Récemment encore il rigolait en me rapportant qu’à la télé, une des Églises du Pays affichait : « Donne-nous aujourd’hui notre pain quotidien »… avec en dessous la mention Du lundi au vendredi de 9h à 12 h et de 14 h à 18 h. Il me dit : « tu vois, de nos jours, Dieu a des horaires de boutiquier ; c’est le triomphe de l’économie de marché, tu pourras raconter ça à tes copains économistes… qui penseront cependant qu’avec un tel emploi du temps Dieu serait plus proche de certains syndicalistes que des pro-business ! ».

 

Papy avait cependant entretenu de bonnes relations avec quelques pasteurs qu’il jugeait « non définitivement dépourvus de sagesse ». Malheureusement, ces pasteurs étaient décédés depuis plusieurs années. Il nous chargea d’en trouver un qui, pour toute cérémonie, lirait ces deux versets et les commenterait brièvement en expliquant en quoi ces textes étaient complémentaires. Sincèrement, moi, je n’ai pas trouvé le rapport. Quelle continuité entre ce que proclamait l’apôtre Paul (« Il n’y a plus ici, ni Juif, ni Grec, ni esclave, ni homme libre, ni homme, ni femme… » ) et une affirmation de l’Ecclésiaste (« Celui qui accroit sa science, accroit aussi sa douleur ») ?

 

Mon père se chargea de trouver la perle rare qui donnerait un sens à ces textes dits sacrés. Ce fut catastrophique…

 

L’homme d’Église lut les deux textes en français et les commenta en reo mā’ohi. De ce que j’ai compris, l’orateur partit sur l’idée que, puisque la Bible disait qu’il n’y a plus ni Juifs, ni Grecs, au Fenua, il n’y avait plus que des Mā’ohi. Ensuite, il évoqua les transgenres qui seraient peut-être les nouvelles créatures divines. Quant au passage de l’Ecclésiaste, cela devint que la science dont il était question était celle enseignée dans les écoles obligatoires, une science qui provoquait la douleur. C’est pourquoi il recommanda l’enseignement des écoles du dimanche, là où seulement la science divine était inculquée aux enfants et effacerait leur douleur ! CQFD !

 

Autant son laïus fut bref, autant la prière que personne ne lui avait demandée fut interminable. J’étais trop excitée contre cet obscurantiste que je n’écoutais même pas. Je n’attendais plus qu’un mot : Amen. Quand il parvint à mes oreilles, je fus soulagée. J’en voulus un peu à papy de nous avoir embarqués dans cette galère mais je fus surtout contrariée parce, j’en suis convaincue, il n’avait pas voulu ça. Ou alors, me pris-je à subodorer, et si papy - dans une ultime provocation - n’avait pas voulu nous faire comprendre qu’il y avait des « philosophies » inutiles…

 

En fait, ni pour moi, ni pour vous, papy n’est tout-à-fait parti. J’ai encore beaucoup d’anecdotes à raconter, des conversations qui valent leur pesant de litchies et quelques courriers qu’il m’a envoyés (notamment sa vision de ce que devrait être la cérémonie inaugurale des Jeux olympiques… un régal que je vous ferai partager un jour prochain).

 

Vous savez ? Dans ma famille, papy était le seul qui savait vraiment que sa mootua se dissimulait sous Maeva Takin. Il ne me l’a jamais dit franchement, mais c’était tellement clair dans ses propos. Nunui, mon compagnon, s’il le sait, le cache bien ou n’ose pas me l’avouer. Papa et maman sont encore trop occupés par leur vie quotidienne pour y penser. À mes lectrices et lecteurs qui voudraient savoir qui je suis, je ne dirai pas de patienter, car ce pourrait être aussi long que l’attente du Messie !

 

Merci pour vos messages de soutien qui ne manqueront pas de me parvenir.

 


[1] Le décès de papy est survenu avant que Kamala Harris envisage de se présenter à l’élection présidentielle américaine.

[2] Dans ses dernières volontés François Mitterrand avait noté : « une messe est possible »…

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