top of page

Les rêveries d’un promeneur solitaire

Dernière mise à jour : il y a 1 jour

 


ree

La photo fit le tour des rédactions de l’Hexagone, des Outre-Mers et même de l’Outre-Terre, le taire serait contraire à la déontologie. De quoi s’agissait-il ? Des paparazzi sans doute – certains milieux politiques crurent y voir une manipulation du service communication de l’Élysée – surprirent le président de la République parcourant à pied les quais de la Seine, le lundi 6 octobre dernier, en fin de matinée. François Mitterrand avait l’habitude de déambuler sur les boulevards parisiens à la recherche d’un livre rare (entendez par là, un livre qui aurait perçu en lui le plus grand Président que la France eût connu). Les images des années quatre-vingt ne faisaient pas le tour du monde, alors pourquoi cela arrive-t-il à Emmanuel Macron ? À cause des réseaux sociaux ? Pas seulement.

 

La date et l’heure firent en effet le bonheur de ceux qui n’y virent pas un leurre. Le Premier ministre qu’il avait donné à la France venait de démissionner et le moment était si grave que le Président devait subodorer qu’il aurait à supporter de nouvelles critiques.

 

Alors la presse voulut étaler sa culture comme d’autres étalent le punu puaàtoro [1] sur le uru. On put lire sur internet – puisqu’à Tahiti on ne trouve plus la presse française et internationale depuis qu’un grand humaniste local décida que ce n’était plus nécessaire – ou entendre sur les chaînes nationales des délires culturels.

 

Emmanuel Macron était comparé à Jean-Jacques Rousseau qui écrivit (sans achever l’ouvrage) Les rêveries du promeneur solitaire. Le lien paraissait évident entre l’homme politique et l’écrivain. Tous deux avaient été vilipendés par leurs adversaires, qu’ils fussent politiques ou philosophico-littéraires. Le premier aurait vu dans les critiques tous azimuts une machination politique, le second – sensible aussi à la même vision – y aurait aussi décelé comme source « un de ces secrets du ciel impénétrable à la raison humaine ». Certains « journaleux » crurent anticiper une autre similitude. Rousseau, quand il écrivit ses rêveries, avait abandonné toute volonté de se défendre face à ses détracteurs et serait parvenu à une sorte de sérénité (« la force tranquille » de tonton Mitterrand ?) qui allait jusqu’à penser qu’il était désormais inutile d’espérer une réhabilitation posthume. Alors, pour eux, le président de la République se préparerait à laisser la France à son destin à elle, le sien étant désormais scellé. Ce n’était pas par hasard qu’il aurait acheté une nouvelle résidence au Touquet !

 

Balivernes que tout ce bavardage ! Emmanuel Macron allant chercher sur les quais de la Seine une vie paisible que la marche solitaire et la contemplation des flots rendraient possibles : sottises… Je peux vous livrer ma version des faits, grâce aux liens qui m’unissent à lui. Les médias déduisaient d’un cliché flou que le Président téléphonait. Eh bien oui ! et c’était moi qu’il appelait comme dans d’autres circonstances au cours de ses mandats.

 

J’allais m’endormir quand le téléphone sonna. Je m’enquis d’abord que la sonnerie n’avait pas réveillé Nunui, mon compagnon, même si la probabilité était nulle.

-       Maeva, n’est-il pas trop tard aux antipodes ?

-       Il est tard Président, mais je suppose que si vous m’appelez, c’est que vous êtes, vous aussi, en décalage dans le typhon politique hexagonal.

-       Appelle-moi Emmanuel, comme d’habitude. Au fait, mon appel a-t-il gêné ton compagnon ?

-       Non, Emmanuel. Nunui s’était beaucoup concentré dans l’attention vespérale [2] qu’il me porte régulièrement. Nunui, épanoui, s’endormit sans to’ere ni ukulele [3]. Et pour le réveiller, il faudrait sans doute un séisme de force 7 sur l’échelle de Richter. Mais par précaution, je vais aller dans la cuisine. Le temps que j’enfile une nuisette.

-       Ton Nunui serait-il jaloux ?

-       Jaloux ? non pas vraiment, mais un peu agacé par notre relation régulière. Nunui, il serait davantage porté sur LFI [4] que sur… comment s’appelle déjà le parti qui vous soutient ?

-       Je ne suis pas sûr qu’il y en ait encore un qui serait doté de cet état d’esprit. Du reste, j’aurais aimé qu’on gardât l’appellation initiale, Les Marcheurs. Je songe à retrouver ce marqueur. Je recommence aujourd’hui à marcher.

-       De Gaulle disait que « les Français étaient des veaux » et la SPA [5] ne protestait pas, mais vous, si vous dites que « les Français sont dévots », tout le monde vous reprochera d’abandonner le principe de laïcité. Emmanuel, où êtes-vous en ce moment, j’entends des clapotis ?

-       Une péniche vient de passer sur la Seine et les quais où je déambule sont quelque peu éclaboussés. Tiens, regarde, je mets la caméra.

-       Parfait Emmanuel, mais souffrez que je n’en fasse pas autant, tant j’en serais gênée.

-       Oui, je te trouverais sans doute dans le simple appareil d’une beauté que l’on vient d’arracher au sommeil.

-       Racine dans Britannicus !

-        Oh ! Je suis ravi de savoir que dans les lycées de Nouméa et de Papeete, on étudie ce monument de la littérature française.

-       Vous avez le réflexe en ce moment de réciter des alexandrins de tragédie du XVIIème siècle et de prendre une détente quelques instants ?

-       Ne parlons pas de détente mais de quasi-burn-out.

-       Que vous arrive-t-il Président ?

-       Emmanuel, appelle-moi Emmanuel t’abjurè-je [6] ! Tu sais que mon Premier ministre a démissionné.

-       Oui, je l’ai appris aux infos nationales en écoutant Florence O’Kelly avec laquelle j’étais au lycée Gauguin.

-       Oui, mais ce n’est pas tout. Les ennuis volent toujours en escadrille. Figure-toi que j’avais eu une nuit fort courte avec des appels de ministres qui n’étaient plus ministres mais qui voulaient l’être encore et même revendiquaient le poste de mon ancien ministre désarmé. Alors, vers 10 heures, je crus utile de prendre le temps de me doucher. Une question d’hygiène corporelle et de ruissellement intellectuel.

-       Excellente idée Prési… Excellente idée Emmanuel et vous avez dû vous sentir un autre homme.

-       Malheureusement, j’ai compris que j’étais bien un autre homme quand j’entendis Brigitte vociférer : « Gamin [7], cesse de te promener dans l’Élysée le corps nu ! Tu n’as plus le torse que tu avais dix-sept ans quand tu m’avais tourneboulé le cortex ! Vets-toi donc gamin ! ».

-       Ciel c’était violent, mais qu’est-ce qui était le plus violent : le mauvais jeu de mots sur le patronyme de l’ex-Premier ministre ou sur votre torse ?

-       Le corps nu, il ne compte pas pour moi, mais que mon torse que j’entretiens pourtant (en effet, on ne sait jamais !) ne fut plus digne qu’on y jetât un regard, voilà qui m’ébranlât ! Aussi sortis-je pour respirer un autre air que celui du faubourg Saint-Honoré…

-       Je comprends, je comprends. C’est comme ça dans la vie, il y a des moments… Tenez, moi par exemple, j’eus une relation toxique avec un camarade de la section des petits à la maternelle du faubourg Blanchet à Nouméa. Mes parents me changèrent d’école.

-       Cet exemple me touche. Bon, si je t’appelle, c’est pour te demander si je pourrais tirer encore quelque chose de Sébastien que j’avais promu à Matignon. Il avait été ministre de l’Outre-Mer. Toi qui connais bien la Calédonie et Tahiti, dis-moi ce que tu penses de lui.

-       Quelle lourde charge repose sur mes épaules dénudées ! Quelques idées me viennent à l’esprit en me rappelant ce que mes deux papys me confiaient. Mon papy kaléidoscope [8] disait que Lecornu avait été le premier à comprendre que les Kanak étaient ingérables (il me rappelait souvent en pleurant l’assassinat de Jean-Marie Tjibaou) parce qu’ils n’arrivaient pas à définir un projet pour l’indépendance. Il me dit un jour que finalement, ils avaient peut-être peur de l’indépendance. D’autres jours, papy regrettait de m’avoir dit ça. Ce qu’il ne comprenait pas, c’était pourquoi il avait promu Sonia Bakès au Gouvernement central, elle qui n’était même pas calédonienne. Bien sûr, les Caldoches étaient frustrés de n’avoir jamais eu un Calédonien au Gouvernement alors que les Polynésiens avaient eu Gaston Flosse secrétaire d’État au Pacifique Sud quand Chirac était Premier ministre. Jacques Lafleur espérait bien que son tour viendrait. Mais il y renonça finalement quand lui fut proposé le secrétariat d’État aux Armées. Il n’aurait pas supporté des titres de journaux comme « Lafleur aux fusils ! ».

-       J’ignorais cette anecdote…

-       Mon papy de la presqu’île, lui, fut direct : « Bakès, elle a foutu le pataquès ! ». Cependant il reconnaissait que Sonia avait fait beaucoup plus que tout autre ministre pour lutter contre les dérives des sectes religieuses. Pour revenir à votre questionnement, je dois vous dire, Emmanuel, qu’on avait beaucoup espéré de Manuel Vals, mais c’était avant que Vals devienne [9] imbu de lui-même.

-       Donc, tu penses que je peux encore utiliser Sébastien ?

-       Au point où vous en êtes et compte tenu de l’heure, un Premier ministre originaire de l’Eure pourrait avoir l’heur de plaire, même aux beurs.

-       Je n’y avais pas pensé. Sébastien pourrait plaire aux beurs. Formidable ! Mélanchon n’aurait plus qu’à bien se tenir. Bon, je vais faire durer le plaisir quelques jours, mais je t’annonce que je renommerai la perle rare.

-       La perle, c’est quand même une spécialité de Polynésie.

-       C’est vrai, j’en avais vu de superbes en 2021.

-       Vous avez donc gardé un bon souvenir de votre visite au Fenua ?

-       Excellent ! Excellent ! J’ai promis à Brigitte qu’on y ferait un voyage incognito après mon troisième mandat.

-       Vous voulez faire comme Trump ?

-       Pas du tout, car pour moi, ce sera légal.

-       Mais après 2037, Brigitte pourra-t-elle encore faire le voyage ?

 

Le Président se mit à tousser et la conversation s’arrêta un moment. Il reprit :

-       Maeva, donne-moi une bonne raison de donner envie à Brigitte de venir dans ton Fenua, même si elle n’avait plus le dynamisme que tout le monde lui connait.


ree

-       Tahiti, c’est un endroit à nul autre pareil. Quand le visiteur arrive à l’aéroport international de Faa’a, il sait déjà, en entendant les poules et les coqs qu’il sera dépaysé. Mais j’ai beaucoup mieux. Je vais vous raconter ce qui nous est arrivé, samedi dernier, à Nunui et moi. J’avais envie d’une bonne séance de bronzage, même si les Farani peuvent penser que je n’en ai pas besoin. Nous partîmes vers la Pointe Vénus à Mahina, bien décidés après le bain de soleil à aller dans le restaurant d’un grand hôtel. Mais voilà qu’à proximité de la route qui mène au phare, un panneau sur le bas-côté indiquait le menu d’un food-truck : « Ici, crêpes carrément bonnes ». Nunui et moi avons éclaté de rire et d’un regard nous prîmes la décision d’annuler notre repas dans un quatre étoiles. Après le bain de soleil, nous vînmes au food-truck. L’odeur des crêpes, la joyeuse ambiance autour du patron, la spontanéité des clients , les chaises inconfortables sur lesquelles nous en mangeâmes plusieurs [10]… et nous eûmes la confirmation que jamais nous ne quitterions notre Fenua.

-       Maeva, je sais maintenant que la France serait moins belle sans le Fenua [11].

 

 

 


C’est toujours l’intelligence superficielle qui gère les notes et conseille Maeva sur le style de ses écrits.

[1] Le punu puaàtoro est du corned-beef très prisé des Polynésiens. D’aucuns établissent un lien entre cet « aliment » et diabète et/ou obésité, comme Trump et R. Kennedy Jr établissent un lien entre circoncision et autisme (il est vrai que le cas Netanyahou est probant).

[2] L’attention vespérale = le gros câlin du soir. Maeva sera furieuse quand elle consultera cette note que je lui ai soigneusement cachée…

[3] Maeva avait écrit en premier jet : « sans tambour ni trompette ». Je lui ai fait valoir que cette formulation était trop farani et qu’il fallait la tahitianiser.

[4] LFI : La France irascible.

[5] SPA = Société protectrice des animaux. Je précise par égard à nos lectrices et lecteurs belges…

[6] Le goût de Macron pour les verbes obsolètes et les conjugaisons qui le sont encore plus…

[7] « Gamin ! ». Ce serait ainsi que Brigitte s’adresserait à Emmanuel quand elle est en pétard. Elle redevient la prof d’Amiens. Voir le billet « Gamin ! viens avec moi à la supérette ! »  

[8] Maeva désigne ainsi son grand-père de Nouvelle-Calédonie très métissé.

[9] Ah ! là alors bravo, Maeva ! Avant que valse de Vienne ! Il fallait oser !

[10] Maeva précise qu’elle parlait des crêpes, pas des chaises.

[11] Emmanuel avait prononcé la même phrase à propos de la Nouvelle-Calédonie. C’était une injustice pour les Polynésiens. Elle est désormais réparée… grâce à Maeva !

 
 
 

Commentaires


bottom of page