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Le phénomène Maeva Takin vu de l’Université




Mon compagnon, Nunui, et moi étions invités à un tamara. Nunui rencontra une de ses nièces et l’interrogea sur ce qu’elle étudiait à l’UPF. Elle n’était pas très diserte, même au dessert, et Nunui se fit presque inquisitorial. Ce fut alors qu’elle bredouilla qu’en français, elle suivait un cours de littérature sur Maeva Takin. Je ne bronchai pas, car même mon compagnon ignore que les billets qu’il lit sur le site de Pacific Pirates Magazine ou sur mon blog ( https://www.maeva-takin.com) sont sortis de mon ordinateur. Tout comme il ignore que ce pseudonyme, c’est le mien. Discrètement, je m’enquis des jours, heures et salle où ce cours se donnait. Évasivement, je fis mine de m’y intéresser et annonça que j’essaierai d’aller écouter l’enseignant. Un admirateur ou un contempteur[1] ? Je voulais savoir. Une après-midi, je pris congé et me rendis à l’UPF. Avais-je le droit d’assister à un cours clandestinement ? Allons, soyons folle !

 

Il y avait peu de chance que je fus repérée, tant l’enseignant, le regard fixé sur son ordinateur semblait se désintéresser du public étudiant dispersé sur les gradins de l’amphi, très occupé majoritairement, de ce côté-là, à faire tout autre chose que d’écouter. J’enregistrais sur mon téléphone le cours donné par un professeur ou un maître de conférences (j’ignorais son titre), souriant en pensant à tous les articles, tous les reportages dans lesquels le mot conférence est écrit sans s. Quand même, l’État serait généreux de payer quelqu’un pour une seule conférence ! Je me souvins aussi de celui dont je suivais naguère les cours de droit, un peu enveloppé autour de la ceinture et que nous surnommions « le mètre de circonférence ».

 

Attention, ça tourne.

« Donc, nous poursuivons notre étude du phénomène Maeva Takin, phénomène dis-je, car voilà une jeune femme profondément enracinée dans les cultures océaniennes et qui a choisi – pour le moment, crois-je savoir – de s’exprimer dans un français dont elle maîtrise tous les ressorts. D’après son éditeur, elle s’apprêterait à publier des billets en drehu, la langue de Lifou en Nouvelle-Calédonie, qu’elle maîtriserait mieux que le reo mā’ohi.  Toujours d’après son éditeur, seule personne à Tahiti à savoir qui est vraiment Maeva Takin, elle ne se contenterait plus d’écrire des billets et des nouvelles, mais ses ambitions seraient plus vastes. Elle finirait d’écrire une trilogie aux titres désarmants : Si Ève n’avait pas été nue, Si Adam n’avait pas aimé les pommes et Si Caïn n’avait pas tué Abel. C’est un scoop que je vous confie donc ».

 

Mince, mon éditeur est allé un peu vite en besogne et j’aurais aimé plus de discrétion, mais maintenant que c’est connu, je vous en parlerai si vous le souhaitez. Dans l’amphi, une voix retentit : « et pourquoi pas Si Noé n’avait pas su nager ? ». Quelques rares ricanements dans l’amphi et l’enseignant fit comme s’il n’avait rien entendu et poursuivit :

 

« Précédemment, nous avons étudié différents thèmes qui ressortent de ses écrits, la science contre les charlatans (épisode du Covid), les entretiens (fictifs vraisemblablement) avec le président Macron, la misère en Océanie, la vie sentimentale de Maeva (traitée avec pudeur et audace) ».

 

Mince, j’ai raté le cours sur ma vie sexuelle ! J’ai bien fait de n’avoir pas tout raconté, enfin, pas encore. J’ai bien fait surtout de n’avoir pas créé une rubrique « Me too », parce que- là, j’avais beaucoup à dire. Sachez seulement que je n’attendrai pas vingt-cinq ans pour porter plainte. Les problèmes ont été réglés en cinq-sept, soit par une claque magistrale qui handicapera longtemps le fonctionnement des zygomatiques, soit par une réplique humiliante du style « tu n’as donc que ce modeste matériau à montrer ». Bref, je vais quand même essayer de me procurer le cours susnommé. Zut, j’ai coupé la parole à celui qui m’étudie.

 

« Dans les études précédentes, nous avons découvert avec quel talent Maeva utilise les figures de style : la synecdoque[2], l’euphémisme, l’allitération, l’assonance, l’hyperbole. Aujourd’hui, nous aborderons le procédé littéraire qu’elle utilise pour faire passer des messages à travers l’invention vraisemblable du personnage du papy. Cette figure se nomme la prosopopée qui consiste à faire parler un personnage fictif ou mort pour donner du crédit au propos, ce qui ne serait pas le cas si l’auteure parlait en son nom propre.

Le personnage du papy apparaît fréquemment, toujours avec une apparente affection, comme une figure tutélaire qui assurerait protection et réconfort à Maeva. En réalité, il y a deux papys : celui de la presqu’île avec lequel elle serait en contact fréquent et le papy de Nouvelle-Calédonie qualifié de kaléidoscope pour signifier la diversité ethnique de son arbre généalogique. Celui-ci est la figure allégorique de ce que prétend être Maeva, une jeune femme métissée à l’extrême, pour embrasser toutes les cultures océaniennes qui lui sont chères. Je vous ai fait lire le billet La complainte du beau Lulu, celui qui venait du Vanuatu. Dans ce texte apparaissait sa tendresse pour les Mélanésiens qui vivent si difficilement et dans leurs îles et plus encore dans l’émigration. Quant au papy de la presqu’île, il est le défenseur d’une culture scientifique et humaniste qui s’oppose aux chamanes sans mana, qui rejette l’obscurantisme de ministres de l’Afrique du Sud contre le SIDA préférant le jus de betterave à la trithérapie (ne confondons pas pays émergents et pays détergents dit le papy, allusion qui portait aussi sur Trump) et qui regrette le temps où on apprenait à écrire en bon français et sans faute. C’est pourquoi il fit cadeau d’un dictionnaire à Maeva, un moyen de connaissances que vous devriez tous utiliser régulièrement. Ce bon connaisseur du reo mā’ohi qu’est le papy a refusé d’entrer à l’Académie tahitienne pour ne pas devoir aller arbitrer entre un vieux curé et un vieux pasteur sur la place de l’occlusion glottale et l’utilisation du macron[3]. La lecture attentive des ouvrages de Bruno Saura prouve que le papy sait choisir ses sources de réflexion.

 

Qui, de Maeva ou du papy a le plus d’humour ? Maeva décrit le papy encore droit comme un i alors qu’il a nonante années sonnantes mais pas trébuchantes… Le papy, lui, fait semblant de ne pas pouvoir être vacciné à cause d’une comorbidité qui se révèle être une farce : un poil dans la main. De même que la comorbidité de la mamie est de trop parler !

 

Le couple que forment le papy et la mamie - que Maeva compare au couple Temaru/Flosse -  est constamment en désaccord, mais semble néanmoins un modèle pour l’auteure car il surmonterait toutes les difficultés, notamment en chansons. Il est vrai que le papy semble expert en la matière, fredonnant de vieilles chansons françaises tout en se voulant à l’écoute de la modernité : il préfère Lady Gaga à Mireille Mathieu par exemple.

 

Le papy est aussi celui qui révèle des convictions politiques profondes chez Maeva, phénomène rare au Fenua. La scène hilarante de la famille de Maeva regardant le couronnement de Charles III en dit long sur l’hostilité takinienne[4] à la monarchie. De clairs propos sur Pinochet en disent long sur sa haine des régimes dictatoriaux. Maeva rapporte que le papy avait été présent et actif à Paris pendant les événements de 1968 qui l’auraient marqué. Là, Maeva rapporte certainement des conversations qu’elle avait eues avec un grand-père ou tout autre personne. De fait, le papy s’intéresserait toujours – malgré son grand âge – à l’actualité mondiale, comprenez par là que Maeva déplorerait le peu d’intérêt porté par les Polynésiens à ce qui se passe hors de leur territoire.

 

On trouvera rarement un ou une océanien(ne) à défendre la laïcité. Le papy s’en fait le porte-parole en plusieurs occasions, ce qui le rend méfiant à l’égard de l’alternance de 2023 en Polynésie.

 

Du reste, de ses deux papys, Maeva a retenu une hostilité viscérale au racisme, comme portée par le slogan de l’Union calédonienne Deux couleurs, un seul peuple.  Si le slogan s’est quelque peu terni, (et pour les couleurs, c’est dommage !) Maeva, contre vents et marées, cherche à préserver l’unité dans la diversité. Sa toute récente évocation de propos tenus par des représentants de l’APF souligne son aversion pour celles et ceux qui résument la personne à la couleur de sa peau. Elle s’amuse du reste à changer périodiquement sa photo de profil pour en faire un instrument de lutte contre les préjugés ethniques.

 

L’hygiène de vie préoccupe aussi le papy qui chaque matin… ».

 

Le cours avait commencé trois quarts d’heure plus tôt. L’amphi se dépeuplait peu à peu et je craignis de me retrouver face à face avec l’enseignant. Je pliai donc mes bagages (intellectuels bien sûr) et sortit aussi discrètement que possible. Dehors, quelques étudiants discutaient et j’entendis plus ou moins distinctement ce propos : « C’est chouette de lire Maeva Takin dans le texte, mais vu par M. X… ça te découragerait de t’y plonger. En parlant de plongée, t’as vu la vague ce matin à Papara ? ».

 

J’avais beaucoup appris sur moi et sur ma famille. Je vais aller à la presqu’île faire écouter le cours à papy et mamie. Je crois qu’ils vont s’esclaffer et s’éclater. Je vais leur expliquer ce que sont les assonances sans les assommer et les euphémismes qui n’ont rien à voir avec le féminisme.

 

Ma culture s’est-elle enrichie maintenant que je suis un thème de réflexion universitaire ? Je retiendrai la formule de papy empruntée à Voltaire : « Cultivons notre faapu[5], sans trop retourner celui de nos voisins ».

 

Vous savez quoi ? Je vais relire l’ensemble de mes écrits. J’y trouverai, à n’en pas douter, du plaisir.

 


Plus que jamais, il est nécessaire de recourir à l’intelligence superficielle car, maintenant que Maeva est devenue un sujet d’étude universitaire, elle risque de devenir de plus en plus ésotérique. Je vais donc m’efforcer de clarifier certains propos.



[1] Contrairement aux apparences, le contempteur n’est pas celui qui est content, mais qui, au contraire, dénigre systématiquement une personne ou une idée.

[2] La synecdoque (à ne pas confondre avec la synagogue) est une figure de style qui consiste à donner à un mot ou une expression un sens plus large ou plus restreint que sa propre signification. Par exemple dire que l’église a trouvé un curé signifie que la paroisse ou les paroissiens dans leur ensemble sont maintenant dotés d’un curé.

[3] Aucun rapport avec un peretiteni connu. Le macron est le signe qu’on place par exemple sur le a de vāna’a

[4] La prétention de Maeva n’a plus de limite. Elle pensait sans doute que la sensibilité du poète Rimbaud, s’intitule, dans les chaires des Universités, la « sensibilité rimbaldienne ». Maeva veut donc que son nom devienne un adjectif… Ce sera quoi, la prochaine étape ?

[5] Faapu = jardin ou potager.

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