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Le discours d’un roi… absent (Londres/Papeete, mai 2023)

J’ai trouvé ça drôle. En l’espace d’une semaine, le monde est témoin de deux cérémonies à l’intérêt planétaire. Noblesse oblige, priorité au père de William. Vous vous en doutez, pour moi la cérémonie du sacre est intolérable en 2023. Certes, bien des téléspectatrices et téléspectateurs qui réclament en France ou ailleurs plus de démocratie se sont pâmés à la vue du couronnement. Combien de fois ai-je soulevé le problème des contradictions qui pullulent chez les êtres humains ! Mon compagnon Nunui voulait regarder les retransmissions. « Tu regardes, donc tu cautionnes ! » lui ai-je lancé car, en effet, il ne cessait de me confier que ça le choquait que la vieille Albion retournât au Moyen Âge. Il maugréa un peu puis s’avisa de projeter une promenade en montagne. Ses plans furent contrariés par mon Papy qui nous invita tous deux à passer le week-end à la presqu’île. Nunui et Papy s’entendent à merveille. Donc, à la presqu’île dès vendredi soir. Papy nous surprit une fois de plus. « Bien sûr que je vais regarder le couronnement et vous avec moi, car j’aimerais à cette occasion vous confier ma vision du monde ». En fait de vision du monde, je soupçonnais fortement Mamie d’avoir exercé une telle pression sur lui que, de guerre lasse, à un contre une, il ne fit pas jouer la clause du doyen d’âge. Et s’il nous invita, c’était pour pouvoir commenter le spectacle en termes vifs que Mamie ne pourrait pas arrêter devant nous, alors qu’elle l’aurait fait taire s’ils n’avaient été que deux. Avec ces deux-là, je suis experte en psychologie.


Samedi, Polynésie la Première consacra une dizaine d’heures à la cérémonie, à cheval sur le ma’a de midi. Mamie s’était évertuée à nous préparer le meilleur autour d’une table qui permettait à chacun de visionner l’écran. Au début, je fis la détachée, quasiment indifférente à ce que les reporters déblatéraient. Je trouvais prétexte d’aller aider Mamie pour me lever et quitter le salon. Nunui était très attentif au contraire et Papy l’était tout autant et prenait des notes, sans doute pour nous expliquer ensuite pourquoi il bouillonnait intérieurement. Cela ne l’empêchait pas de temps à autre de pousser des cris de désapprobation du type « t’as vu ce clown ? ». Qui désignait-il, Charles ou l’archevêque anglican ? Comme il avait apprécié un précédent billet de mon bloc sous-titré « Tu parles, Charles ! », il lançait l’expression à chaque fois que les reporters semblaient vanter les mérites du roi. Quand il s’en prenait à l’officiant, il lâchait des « archevêque ? archivioque oui ! et si ce n’est en âge, en mentalité ! ». Il ponctuait les images de tel ou telle personnalité de « momies ! » ou d’« emplumé(e) ! ». Quand apparaissait la reine, il se tapait sur les genoux et hurlait presque « moi je préfère Camélia Jordana ! ». Surprise, je lui demandai comment il connaissait le nom de la chanteuse et comédienne. Il se mit à chanter « Non ! non ! non ! Je ne veux pas l’oublier… ». Mamie voulut le faire taire, en vain.


Lorsque le couronnement proprement dit approchait et que l’archevêque invoquait la protection de Dieu sur le roi, une protection appuyée de passages des Évangiles, Papy explosa : « Vous avez la preuve que Dieu n’existe pas, sinon il aurait empêché que son nom fût associé à cette mascarade ! ». « Tais-toi, mécréant ! » hurla Mamie sans plus de succès qu’auparavant.


Peu après, Papy éteignit la télévision, au grand dam de Mamie et même de Nunui. Ce fut alors qu’il lança un long monologue, tout en regardant ses notes, contre la monarchie, contre la connivence de la religion et de la royauté, contre le côté ringard de la cérémonie (« C’est pire encore qu’au Vatican ! »), contre les dépenses choquantes alors que la misère s’amplifiait dans le pays. Je dus expliquer à Nunui que Papy avait vécu quelques années en métropole autour des événements de 1968, qu’il avait lui-même lancé quelques pavés sur les CRS et qu’à son retour à Tahiti, il avait été un des piliers du Ia Mana te Nuna’a première version, quand ce parti « laïc » était dirigé par des gens très croyants…


« Vous voyez, poursuivit Papy, c’est ridicule de demander à Dieu de guider le roi, puisqu’il n’a aucun pouvoir si ce n’est de prier l’usurpatrice Camilla de pas chercher à ressembler à Diana ». Comme en aparté, il murmura : « de toute façon, elle aurait du mal, cette fripée ». Stupeur parmi nous ! « Vous voyez, renchérit-il, s’il était un vrai roi, il ferait un discours comme un Président le ferait le jour de son investiture. Mais non, on a eu droit à un discours absent du roi ».


Je ne sais pas si Papy voulait faire une transition avec l’événement marquant qui se produirait la semaine suivante à Papeete, la passation de pouvoir d’Édouard 1er à Moetai premier du non-dit. Vous vous demandez pourquoi, je l’appelle le « roi du non-dit ». C’est simple, pendant toute la campagne, ce sympathique garçon a évité tous les sujets qui fâchent et évité de fâcher qui que ce fût, si ce n’est son beau-papa peu adepte des discours lisses. Avant son message « d’intronisation », on ne connait donc toujours pas ses véritables objectifs.


Papeete, 12 mai 2023


C’est bien ce que j’écrivais plus haut : on n’en connaît pas plus aujourd’hui. Le nouveau roi semblait absent lors de son discours. Pas de notes préalables, renvoi au programme « que vous avez tous lu » prétendit-il. Mon œil ! Qui l’avait lu ? Oui, c’est vrai, moi un petit peu.


En tout cas, il fut couronné mieux que Charles III. Plus impressionnant, plus parfumé que la relique usagée difficilement vissée sur le crâne du septuagénaire.


Avant que la cérémonie ne débute, Papy m’appela.

  • Tu es où Maeva ?

  • Au bureau.

  • Donc tu ne n’assisteras pas à l’événement historique.

  • Si Papy, un peu clandestinement comme tout le monde, en faisant semblant de travailler mais en regardant internet sur le smartphone. Des fois, c’est le foot et la tolérance doit être la même pour la politique.

  • L’Administration territoriale ! Bigre ! Enfin, tu verras ça et c’est heureux.

  • Tu es content Papy du nouveau Taui ?

  • À mon âge, tu sais, même si on espère toujours des jours meilleurs, on ne s’emballe plus aussi facilement. Au fait, tu as suivi l’élection du président de l’APF ?

  • Oui bien sûr.

  • Tu l’as entendu ? Depuis 2004, il n’a pas changé. Chassez le naturel, il revient au galop.

  • De quoi parles-tu ?

  • Je t’ai dit que les Anglais étaient ringards avec leur cérémonie pseudo-religieuse. Finalement, nous les Ma'ohi, on n’est pas mieux. On réintroduit du religieux comme si ça n’avait pas été importé par les colonisateurs.

  • N’exagère pas Papy, rien ne s’est passé comme en 2004. Et puis, on est à Tahiti, on n’est pas des Farani.

  • Comment, il ne s’est rien passé ? Et la prière interminable qu’on va remettre ce matin et le président de l’APF qui veut revenir sur la laïcité !

  • Oui, mais c’est purement culturel, pas cultuel.

  • Culture ! Que de crimes on commet en ton nom ! Bon ! Mamie fait sa crise. On rediscutera plus tard.



Papy me rappela dans l’après-midi.


  • Avant de mourir, j’aurais voulu entendre un vrai discours de président par un homme plus intelligent que les autres. Rien ! Nada ! Que dalle ! Zéro !

  • Toi aussi tu l’as trouvé absent ?

  • Dilettante plutôt ! On méritait un vrai discours, pas du babillage.

  • L’avantage c’est qu’on ne pourra pas dire qu’il a promis la lune !

  • Dis plutôt qu’il n’a voulu contrarier personne et qu’il sera toujours temps pour lui de prendre des positions clivantes.

  • Tu n’es pas content Papy de voir disparaître de la scène des personnages dont je me suis moquée dans mes billets ?

  • Si bien sûr, mais il en reste encore trop et d’autres arrivent que tu pourras vilipender.

  • C’est rassurant, mon blog survivra.

  • C’est la première bonne nouvelle de la journée.



Un livre retentissant paru en 2007 qui devait être suivi par d’autres… mais l’auteur n’écrit plus !



Où mon Papy puise-t-il son énergie et sa curiosité ? Il prétend qu’il marche chaque matin, mais ne s’en vante pas trop car il craint que les gens imaginent qu’il veut imiter le nouveau président. Pourtant, lui, il n’a pas attendu que les élections approchent. Il est vrai qu’au moins, chaque matin, il se réservait quelques moments sans Mamie.


  • Papy, il y a eu une autre bonne nouvelle quand même dans le « discours » du président.

  • Laquelle ? N’aurais-je pas tout ouï ?

  • Quand il a dit qu’on devait respecter l’État, les nations du Pacifique et nous-mêmes, il a ajouté « on devrait manger mieux ».

  • Pour beaucoup de Polynésiens, ça a dû être dur à avaler !


Et Papy partit d’un grand éclat de rire. Je sus alors qu’il était content.

  • Papy, ce soir, apprécie le ma’a de Mamie. C’est grâce à elle si tu es toujours en forme.

  • Tu as raison, Maeva, mais ne lui raconte surtout pas que je t’ai avoué ça !


Résumons cette journée « historique ».

On a un président écrivain qui n’écrit plus. On a un président lettré qui cite Tolstoï ou la « parabole» de Le Gayic (1) plutôt que de trouver une formule originale. On a un président visionnaire qui se projette dans quinze ou vingt ans, mais ne nous dit pas de quoi la semaine prochaine sera faite ou si elle sera fête, qui ne dit pas que le monde d’aujourd’hui n’est plus celui que beau-papa a connu.


Dommage, pour une fois, que le week-end arrive. Mes collègues sont pressés de rentrer chez eux. Je devrai donc attendre lundi pour écouter leurs papotages.



(1) Le jeune député prétend que si l’État se retirait de la Polynésie, il n’emmènerait pas avec lui les taros, les bananes ou les pieds de vanille. Fort bien, cela rassurera les propriétaires de Porsche Cayenne…





La couronne anglaise n’a pas d’odeur, les couronnes de tiare se flétrissent.


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