Vous le savez maintenant, après lecture de mon précédent billet, je pressens les choses avant tout le monde ou presque. Ainsi, entre Noël et Nouvel an, je compris que le temps de la Première ministre était borné et son nouvel an mort-né, comme la sauce du même nom. [1]
Il était temps que j’appelle le président de la République, moi la visiteuse du matin. Il aime bien que je lui téléphone dès que je sors du bureau, vers 17 heures (je dis « vers », car parfois je m’escamote un peu avant et parfois je fais du zèle… du moins quand mon chef est présent, ce qui est rarissime). Il est alors 4 h du matin rue du Faubourg Saint-Honoré. Immanquablement, ça commence comme ça :
- Ah ! c’est toi, Maeva ! Iaorana ! [Il se souvient du mot depuis son voyage de 2021]
- Ne suis-je pas trop matinale, Emmanuel ?
- Non, je suis levé depuis un moment. Je suis en train de boire un café fort que Brigitte m’a préparé hier soir dans un thermos. En stagnant un peu, le café prend du chien !
Ce rituel passé, le Président enchaîne sur ses activités :
- Je devais appeler le maire de Oulan-Bator, tu sais, en Mongolie, pour lui commander des yourtes au cas où le village olympique ne serait pas achevé à temps.
- Vous avez raison, là où il y a yourtes, il y a dessert…
Mon humour ne fit pas mouche et Emmanuel sembla pressé d’en venir à l’essentiel.
- Dis-moi quel bon vent t’amène !
- Une rumeur portée par les alizés dans les palmes de ravenalas !
- Bigre ! Je vois d’ici, tu voudrais savoir si je suis en train de trouver le bon successeur à Élizabeth qui s’éloigne tellement de moi que son téléphone a borné trop loin d’ici.
- Moi, ça m’allait bien une femme à la tête du Gouvernement.
- J’en trouverai une autre, mon quinquennat n’est pas terminé.
- Je voulais vous faire une suggestion.
- Vas-y, je n’attendais que ça.
- On parle beaucoup du couple exécutif. Vous, Emmanuel, avez un nom qui évoque Dieu, Dieu avec nous. Il vous manque donc d’être entouré d’anges.
- Justement, je pense même à un archange. Mon jeune ami Gabriel !
- Je ne lis jamais la presse people, alors je ne sais pas ce qu’il a fait de Séjourné.
- Je sais qu’il est très occupé, mais je ne sais pas ce qu’il fait de ses journées…
Caramba, encore raté ! Imperturbable, Emmanuel poursuivit :
- Que penses-tu de Sébastien Lecornu auquel il m’arrive de penser ?
- Je me méfie des « Cornu » !
- Palsembleu[1] ! Que veux-tu dire ?
- Je lis à peu près tout ce qui paraît sur la Polynésie et j’ai bien retenu qu’un ministre qui avait ordonné l’arrestation de notre Metua [2] s’appelait Cornut-Gentille. J’ai été effrayée quand j’ai appris que le ministre de l’Outre-Mer était Lecornu, même s’il n’y a pas de rapport avec l’autre Cornu…
- Et Julien Denormandie ?
- Un bel homme.
- C’est tout ?
- J’ai envie de chanter : « Laisse-le en Normandi-e… c’est le pays qui a donné Coty [3] ! ».
- J’ignorais que tu avais aussi des qualités vocales remarquables.
- Vous me faites rougir Président ! Ceci dit, votre Julien est moins punchy que votre Gabriel. Quant à Lecornu, un conseil Président, ne le désarmez pas [4]. Il est très bien là où il est.
Après quelques banalités, Emmanuel me pria de le rappeler en début d’année, ce que je ne manquai pas de tenter deux semaines plus tard. Après le rituel déjà décrit auquel il ajouta que Brigitte mettait de moins en moins de sucre dans le café pour préserver sa santé : « tu comprends disait-elle, maintenant tu es beau gosse et en bonne santé, mais dans trente ans, je n’ai pas envie de devoir te soigner ». Moi, en tout cas, je trouve Emmanuel fatigué, pas toujours attentif à ce que je veux lui expliquer.
- Emmanuel, c’est quoi votre rêve pour 2024 ?
- En effet, I have a dream ! Celui que sur les terres ravagées du Moyen-Orient, un petit Palestinien et un petit Israëlien planteront un olivier au milieu des ruines et le soigneront jusqu’à ce qu’il porte des fruits
- « I have a dream »
- Que votre rêve se réalise Emmanuel. À trop citer les exactions des uns et des autres, on ne… (je voulais ajouter : on ne prend plus la mesure de l’horreur).
- Oui, des atrocités !
Je vous le disais, il ne m’écoute pas vraiment.
- Ah ! Maeva, le Moyen-Orient s’embrase. Regarde le Yémen !
- Oui, le Yémen est devenu une boîte à Houthis… (je voulais ajouter : qui remplace les populations yéménites d’origine).
- Oui, la boîte à outils de l’Iran qui manipule les dirigeants et les populations…
Vous voyez, il ne m’écoute pas. Il m’annonça ensuite qu’il réservait un chien de sa chienne aux Républicains qui préfèrent la crise aux solutions.
- Je vais te les déstabiliser avec un missile qu’ils ne verront pas venir.
- Votre prochain Gouvernement ne penchera-t-il pas trop à droite alors que vous aviez séduit les électeurs en leur vendant que vous n’étiez ni de gauche, ni de droite.
Là, j’ai risqué gros car après un silence prolongé, le Président prit une voix agacée.
- C’est stupide. Si je nomme Attal, je vais entendre que le Premier ministre n’est plus de gauche, lui qui était au Parti socialiste. Mais les mêmes commentateurs diront : « Darmanin, Lemaire, Lecornu viennent de la droite et sont toujours de droite ». L’art de déformer les choses ! À mon contact, les gens sont macronistes, donc ni de gauche, ni de droite. Tu ne m’as jamais dit, Maeva, si tu étais de gauche ou de droite.
- C’est que vous savez, chez nous, à Tahiti, la gauche et la droite cela ne signifie pas grand-chose. Regardez les résultats des présidentielles, chaque leader politique local soutient un candidat uniquement pour vérifier que lui, Polynésien, est capable d’entraîner des votes.
- Je te propose un test pour savoir si tu es de gauche ou de droite. Par exemple, je vais faire voter une loi sur la fin de vie. Comment tu vois la fin de vie ?
- Euh, la mienne ou celle de mon papy ?
- Fais un effort pour te projeter, le plus loin possible bien sûr !
- Euh ! je souhaite une happy end.
- Eh bien voilà, là-dessus tu es de gauche, parce qu’à droite on pense que Dieu a mis les hommes sur terre pour qu’ils souffrent et plus ils souffriront, plus ils auront des récompenses au paradis…
- Je n’aurais jamais imaginé que c’était comme ça !
- Autre exemple. Tu as vu les inondations dans le Pas-de-Calais ! Elles auraient pu être moins catastrophiques si les canaux d’écoulement des eaux avaient été curés, mais les écologistes voulaient éviter que les dragueuses ne détruisent les grenouilles. Dis-moi, selon toi s’il fallait curer les canaux quand même.
- Euh ! Les batraciens, il n’y en a pas à Tahiti et les Polynésiens ne mangent pas de cuisses de grenouilles.
- Alors tu aurais curé les canaux !
- Oui, je pense, pour sécuriser les habitants.
- Parfait, tu es donc de gauche !
- Je suis aussi écologiste de tempérament.
- Mais entre les grenouilles et les maisons au sec, tu choisis les secondes. Donc tu es de gauche. Tous les écologistes ne sont pas de gauche, mais des idéologues.
- Je ne comprends pas tout Président.
- Autre exemple : réguler l’immigration, est-ce de gauche ou de droite ?
- J’entends dire qu’à droite on préfèrerait rester entre Français et qu’à gauche on est prêt à accueillir tous ceux qui fuient la misère ou la persécution.
- Oui, mais si une immigration mal contrôlée amène de l’insécurité ? Protéger les Français est-ce de droite ou de gauche ?
- Je m’y perds un peu, Emmanuel. Vous savez, chez nous, les trois députés prétendent qu’il faudrait limiter l’arrivée des Farani. Donc, ils sont de droite ?
- Dis comme ça, sûrement !
- Oui mais, à l’Assemblée nationale, ils ont voté comme une seule femme contre votre loi restrictive sur l’immigration. Donc, à Paris, ils sont de gauche ?
- J’avoue que ça demande réflexion.
La conversation s’arrêta là car Brigitte arriva avec des chouquettes.
Le dimanche 14 janvier, le Président m’appela, la voix enjouée :
- Dis donc, Maeva, c’est quoi ce nouveau profil sur ton blog ? Il ne correspond pas aux photos de toi que tu m’as remises. Je te le répète, je ne confie à personne à quoi tu ressembles vraiment. Quand des visiteurs voient ta photo sur mon bureau, je reste très évasif, quitte à ce qu’un jour, la presse people fasse des « unes » savoureuses.
- En fait, c’est le coach qui gère mon blog qui a voulu narguer certains politiciens qui se plaignent du blanchissement de la population polynésienne.
- Du blanchiment ou du blanchissement ?
- Redoutable question, Président. Si on creuse la langue de Molière, le blanchissement serait le processus par lequel un objet (ici la population comme objet) devient blanc de lui-même et non sous l’effet d’un phénomène extérieur. Par exemple, si les hommes et les femmes d’ici font des enfants avec des hommes et des femmes popa’a, la population « blanchit » mais pas vraiment d’elle-même. Il y a bien un agent ou une agente extérieur(e). Donc blanchissement ne convient pas vraiment. Quant au blanchiment, ce serait recouvrir de blanc ou décolorer pour rendre blanc. Donc, si les autochtones copulent avec des popa’a, la population pourrait, à terme, se décolorer et se « blanchir ». Vous le voyez, les deux mots ne conviennent pas pour les phénomènes que certains voudraient décrire.
- Bon, c’est obscur en effet et mieux vaut ne pas s’engager dans de tels discours. J’en toucherai deux mots à Zemmour. Mais je ne vois pas le rapport avec ton profil.
- C’est que mon coach a voulu se moquer des politicards en me « blanchissant » (mot qui m’évite d’employer blanchiment ou blanchissement). Ce qui est amusant, c’est que les prédateurs ne sont plus les mêmes. J’ai reçu un courrier d’un professeur retraité qui me dit qu’il était depuis longtemps subjugué par mon verbe et que maintenant il est subjugué par mon physique qui respirerait l’intelligence. Il m’écrit : « je voudrais débattre avec toi et même m’ébattre avec toi et je rêve déjà de t’enlever tes lunettes pour saisir ton regard profond ». Je lui ai répondu : « donc tu débats, puis tu t’ébats et après, tu me bats ? Passe ton chemin, de par Dieu ! ». Et puis, il y a un opticien qui propose de me relooker gratuitement en changeant mes lunettes et me promet un repas à l’œil au Foutriquet [5]. Mon papy de Kanaky a écrit à mon coach pour qu’il me restitue mon derme naturel pour mettre un terme aux dérives épidermiques des internautes.
Emmanuel n’arrêtait pas de rire. Il préféra raccrocher de peur que Brigitte n’arrivât avec du muesli. Depuis, je ne sais pas pourquoi, mais je dors mal.
Remaniement, blanchiment, harcèlement, « n’ai-je tant vécu que pour cette insomnie ? » [6].
Un profil « blanchi » pour être dans l’air du temps ! Un profil provisoire. Guettez l’arrivée du beau joli nouveau !
[1] Littéralement : par le sang de Dieu. Terme qui appartient au vocabulaire désuet du président Macron, comme carabistouille ou tambouille…
[2] Il s’agit de Pouvana’a a Oopa, bien entendu.
[3] René Coty, né et mort au Havre, fut le dernier président de la Quatrième République. Il fut élu parce qu’au moment d’un vote délicat, il était opéré de la prostate et par conséquent n’eut pas à prendre parti… J’ai lu ça sur Wikipédia, une source qui correspond bien à mon niveau.
Par ailleurs, j’ai demandé à Maeva comment elle connaissait cette chanson du XIXe siècle. Elle m’a répondu qu’à chaque fois que son papy se disputait avec sa mamie, il menaçait de la quitter en entonnant un tonitruant : « J’irai rejoindre la Normandi-e, c’est le pays qui me donnera envie ! ».
[4] Sébastien Lecornu est présentement ministre des Armées et non un ministre désarmé !
[5] J’ai voulu savoir où était situé ce temple de la gastronomie. Maeva, évasive, laissa entendre qu’elle avait choisi un nom qui lui passait par la tête.
[6] Vous avez reconnu le monologue de Don Diègue, dans Le Cid, de Corneille, Acte I, scène 4 : « N’ai-je donc tant vécu que pour cette infamie ? ».
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