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Au temps de la pénuriz…

Retour sur une période où on avait tous un grain,

mais pas là où il aurait fallu


Y’en a, j’te jure ! Ils auraient mieux fait de ne pas aller à l’école ! L’inspecteur Columbo, qui tenait une rubrique dans Tahiti-Pacifique, va me faire de gros yeux, mais qu’il lise d’abord…


Oui, ceux qui ne retiennent de l’enseignement reçu qu’une partie ou une partie déformée sont plus dangereux que des illettrés, que dis-je ? des analphabètes. Peut-être que vous ne connaissez pas la différence entre illettrés et analphabètes, alors je vous explique. Les illettrés ont un jour (ou deux) appris à lire et à écrire, mais l’absence de pratique les rend quasiment incapables de déchiffrer le contenu d’un programme télé, d’une notice expliquant comment on monte un meuble en kit acheté dans une grande surface spécialisée et incapables d’écrire à leur bien-aimée « d’amour, mourir, tes beaux yeux me font ». Les analphabètes, eux, n’ont jamais été en contact avec une âme charitable qui leur aurait expliqué que b et a ça fait ba, mais qu’un meuble bas s’écrit avec un s, comme les bas que portent les dames en climat rigoureux, que des ânes comme eux portent le bât, que si finalement ils s’en contrefichent ils peuvent dire « bah » avec un h qui n’est ni aspiré, ni inspiré. Que si quelqu’un s’en bat le plexus on met un t, mais que moi, je m’en bas l’ombilic.


Bien sûr, vous trouverez des illettrés et des analphabètes qui monteront plus vite un meuble en kit qu’un titulaire de Master 2 ou qui vous piqueront votre copain ou votre copine, ayant plutôt que des atouts, des atours enviables… Dans le cas du détournement de chéri(e)s, toutefois, mieux vaut que l’auteur du kidnapping ne prenne pas la parole, ce qui pourrait être un remède contre… vous savez bien de quel mot je m’abstiens.


Justement, certains incomplètement formés par l’école feraient mieux de se taire car en ce moment on en entend des drôles. Ou alors, ils ont une culture historique à la Zemmour, comme on dit en français, une vision de l’Histoire « par le petit bout de la lorgnette ». Moi je dirais la vision qu’on a en regardant les choses par le petit trou du macaroni.


Ainsi, des zozos ont entendu parler de l’étoile jaune que les Juifs devaient porter bien visible. Pour eux, le pass sanitaire équivaut à ladite étoile ! Sauf que l’étoile jaune allait aboutir à des expéditions en wagons fort peu confortables dans lesquels ils étaient entassés, se soulageant de leurs besoins les uns sur les autres, avant le grand nettoyage dans des camps dits de concentration. Certains de ces zozos n’hésitent pas à comparer leur vie à celle des Juifs concentrés dans les camps du même nom. Ils n’ont pas retenu grand-chose de l’école, de l’horreur qu’a été la shoa. Les pauvres anti-vax et anti-max, ils comparent la petite piqûre vaccinale à une désinfection pré-fours crématoires et les gestes barrières à une dictature nazie ! Pauvres, oui, pauvres de nous quand on doit cohabiter avec ces incultes et encore plus quand ils invoquent leur culte pour s’opposer à la lutte contre la pandémie. Vous en avez qui vous racontent qu’il faudrait être patients et s’assurer d’abord que le vaccin ne provoquera pas des rougeurs sous les aisselles dans dix-huit ans ou une impuissance des hommes dans quarante-deux ans ! Bon, mais alors si on attendait d’être sûrs de l’innocuité du vaccin, la bonne nouvelle serait accueillie dans les cimetières engorgés. Pauvres de nous !


Au Fenua, comme ailleurs, on a de ces hurluberlus, froussards s’il en est, égoïstes pas possible et inconscients des risques qu’ils nous font courir à tous. Pas de doutes, ils sont plus dangereux que le virus lui-même qui doit les adorer. Avec eux, au moins, il restera de la chair à infecter !


En plus, au Fenua, on a eu un autre problème. On avait tous, à divers titres, un grain de folie en ces temps tourmentés, mais en même temps – comme dirait Emmanuel – certains souffraient d’un manque de grain… Les bateaux qui ravitaillaient un pays qui produit peu ont eux aussi contracté le Covid et les étals restaient vides. « Avec le Covid, les étals se vident ! ». Vous voyez, je n’ai pas perdu ma fibre rimailleuse. C’est vrai que beaucoup de rayons de grandes surfaces (les magasins, pas les rayons) ressemblaient fort à la pensée des anti-vax (le néant !). Bon, je ne trouvais plus d’huile de foie de morue, plus de cerises dénoyautées, plus de parmesan, plus de yaourts bulgares et encore moins de raki, cette eau-de-vie turque qui vous guérit d’un coup (un p’tit coup puisqu’il faut toujours boire avec modération) des turbulences intestinales que vous causent les anti-tout (qui devraient être au passage des anti-toux puisque la toux est le meilleur propagateur des Coronavirus). Vous l’avez compris, les quelques produits dans une liste à la Prévert (Prévert, un nom quasi-biblique évoquant les verts pâturages où nous paîtrons si nous avons vécu en paix avec le bon Berger) [les produits] cités ci-dessus ne m’ont pas vraiment manqué et j’ai trouvé facilement des ersatz. Bon d’accord, voilà un mot peu familier à Tahiti et pour lequel l’Académie locale n’a pas éprouvé le besoin de donner un équivalent ma'ohi. J’ai dit à ma cousine Noëlla que j’avais trouvé des ersatz et elle est allée au bureau de renseignements d’une grande surface pour demander sur quel rayon elle pourrait en trouver. L’accueillère (je l’appelle ainsi, me glorifiant d’avoir créé un néologisme) consulta longuement son ordinateur et s’excusa de ne pas en avoir en réserve. Sa collègue intervint pour dire qu’un arrivage était prévu après le 15 décembre (le temps sans doute que Papa Noera montât au ciel en réclamer).


Mais le drame territorial fut l’absence de grains de riz. On croirait que faute de riz on pût manger des pâtes, ou mieux des légumes et encore mieux des produits du Fenua et mieux de mieux des produits de son faapu. Mais non ! Riz et auto (bien sûr que je fais exprès d’associer les deux mots) font désormais partie intégrante de l’identité du Ma’ohi qui se respecte ! Admettons ! après tout, les modes vestimentaires changent, pourquoi pas les modes alimentaires ? De là à hurler et à chercher d’un magasin à l’autre les précieux grains, à en suracheter (voire vendre du riz blanc au marché noir) et à crier qu’on en était revenu en temps de guerre avec ses restrictions, il y a un ru qu’il ne faudrait pas franchir. Encore une fois, de vagues souvenirs d’école où on apprit qu’entre 1939 et 1946, les produits essentiels étaient rationnés, cette mémoire tronquée ne se souvient plus de ce qu’étaient ces époques. Nos arrières-grands-parents n’avaient pas la possibilité de choisir un produit de substitution, il n’y en avait pas. Alors ça m’amuse de parler de pénuriz, car de pénurie il n’y eut point, mais pénurie intellectuelle et culinaire oui !


J’attendais les grands défenseurs des traditions du Fenua, afin qu’ils montassent au créneau et proclamassent[1] : « s’il n’y a de riz point, ripaille quand même ! ». Et si, à l’école on donnait des cours d’histoire culinaire ? On apprendrait aux enfants comment on mangeait autrefois à sa faim à Tahiti sans devoir desserrer jour après jour davantage son pareu, voire son lavalava ! Et on parlerait d’un temps où les moins de vingt ans n’avaient pas de comorbidités.



Shakespeare faisait dire au roi Richard III : «Mon royaume pour un cheval ! ».

Au Fenua cela pourrait se traduire par : «Mon 4X4 pour un paquet de riz »…

La note ci-dessus est générée par notre système de l’intelligence superficielle. [1] Plus Maeva se sent ma’ohi et plus elle ressent le besoin de raffiner son usage de la langue française.

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