Que sont donc allés chercher en Azerbaïdjan de zélés membres du Tavini ? Surtout qu’ils y sont allés plusieurs fois et y ont mené grand train – dès leur descente d’avion – aux frais, paraît-il, d’une ONG qui n’existe pas !
Les spécialistes de science politique vous expliqueront que tout peut s’expliquer. Accordons-leur qu’ils ont raison, sauf si la raison invoquée ne vaut pas tripette [1]. Imaginons le raisonnement puissant d’un intellectuel spécialiste des relations internationales et de la décolonisation :
Lassés par les atermoiements de la Quatrième Commission de l’ONU, celle qui s’occupe des problèmes de territoires archi subventionnés par la puissance occupante, lassés du silence de cette dernière et de son refus de cesser d’arroser le Fenua, les bleus du Pays – qui ne sont pas des amateurs mais des professionnels de la revendication – sont allés dans le vénérable État de l’Azerbaïdjan chercher un appui parmi les non-alignés qui ne sont pas pour autant en débandade. Ce pays qui a trouvé sa souveraineté grâce au pétrole est tout indiqué pour soutenir enfin un autre pays qui n’a pour seule richesse que ses lagons, richesse que la colonisation leur a quasiment confisquée. Un partenariat avec l’Azerbaïdjan est donc la dernière cartouche pour l’émancipation des opprimés.
En fait les raisons sont tout autant prosaïques qu’archaïques. On a dit à nos honorables représentants (de 44 % de la population) qu’un pays avait superbement réussi dans la lutte contre la vie chère car là-bas, tout était à Bakou. La preuve : ils partirent à plusieurs reprises avec des billets d’avion gratuits, des chambres d’hôtels au même tarif et une abondance de caviar et de vodka qu’il leur suffisait de demander pour qu’on leur en resservît. Certes, s’ils l’avaient sollicité en reo ma’ohi ils n’auraient pas plus été compris qu’eux n’auraient entendu l’azeri. Quelques gestes simples suffirent (lever le coude ou agiter la main fermée devant la bouche) : la dimension gestuelle de l’esperanto est bien connue…
C’étaient donc les recettes pour lutter contre la vie chère - en dégustant des œufs d’esturgeon - qu’ils étaient allés étudier sur les bords de la Caspienne, cette mer fermée qui renferme des nappes de pétrole.
Il reste à espérer que les recettes azeri changeront plus vite la vie des Ma’ohi que celles de Singapour, mais enfin c’est que les recettes asiatiques toquent là où il faut et pas seulement sur les réseaux sociaux soucieux de déformer les vérités. Après tout, nous les Polynésiens, on a des origines asiatiques et certains rêvent de marcher à la baguette comme dans certains régimes, asiatiques du reste.
Nos délégués ont allégué d’épuisantes réunions de travail, des épreuves gastronomiques pour ne pas déplaire à leurs hôtes (on ne refuse rien à un dictateur azeri), des voyages éprouvants (Papeete/Paris/Istanbul/Bakou en première classe) et un dépaysement certain en pays où on ne mange pas de pua rôti.
Je croyais naïvement que le parti au pouvoir chez nous était quelque peu soucieux d’écologie. Le voilà qui envoie jusqu’à huit militants pour surcharger l’empreinte carbone sur un voyage au long cours qu’ils n’auraient voulu manquer sous aucun prétexte. Pensez donc. Un militant lambda des environs de Papeete qui a l’honneur d’être l’invité du pire dictateur de la planète, le dénommé Ilham Alvey, ça en fera des souvenirs à raconter aux mootua.
On a eu droit à une conférence de presse au retour des revenants, plus fantômes que militants. Ce fut drôle si on croit les médias qui la rapportèrent. Les voyageurs se souviennent-ils de déclarations hallucinantes qu’ils auraient prononcées sur la misère engendrée par le contrôle économique de la France sur le Fenua ? Deux hypothèses : la première serait que les médias azeri auraient mal traduit les déclarations faites en reo ma’ohi car à Bakou on ne connaît pas google ; la deuxième hypothèse serait qu’après un bon repas bien arrosé (mais c’était mieux que du rosé) « on » aurait pu prononcer quelque imprudente parole…
Intellectuellement, un argument massue fut développé. Il est possible que l’Azerbaïdjan soit une dictature, mais au cours des visites, rien de répréhensible ne fut détecté. La visite guidée était peut-être téléguidée, mais importe. Ce ne sont pas les visiteurs polynésiens qui soutiennent Ilham, c’est lui qui les soutient. Du coup, tant pis pour tous les opprimés azeri et arméniens. Des soutiens comme ça, c’est la corde qui soutient le pendu !
Une journaliste a profité de la conférence de presse pour aller interroger ensuite nos voyageurs en off, ce qu’elle n’a finalement pas diffusé. Mais j’ai eu le privilège d’entendre questions et réponses.
- Journaliste : si je comprends bien, ça vous est égal que des amis à vous oppriment des peuples ? Que pensez-vous de Ouighours ?
- Voyageur : On ne nous a pas servi de yoghourts !
- Et que pensez-vous du Tibet ?
- J’avais beaucoup aimé Tintin au Tibet.
- Avez-vous visité les prisons à Bakou ?
- Les guides touristiques n’en font pas mention.
- Et si un jour vous rencontrez des Arméniens, leur direz-vous que vous êtes des amis d’Ilham ?
- Je ne parle pas l’arménien…
J’arrête là ce fructueux échange. Mais le titre d’un média du Fenua, le lendemain de la conférence, était éloquent, vous savez de cette véritable éloquence qui se moque de l’éloquence comme pensait Pascal au XVIIe siècle [2] : « L’honnêteté intellectuelle est-elle soluble dans le caviar ? ». J’ai apprécié, mais j’aurais préféré un titre faisant allusion à la vodka du type : « Toute honte bue ! » Ubuesque, n’est-il pas ? [3]
Heureusement que l’intelligence superficielle apporte quelque lumière sur la pensée maevaenne !
[1] J’aurais aimé que Maeva fît le tri dans les expressions désuètes dont elle est une utilisatrice obstinée. Je gage que c’est son papy qui lui a inculqué l’usage de telles formules dont la plupart ne valent pas tripette précisément, c’est-à-dire « que dalle ! ».
[2] Sacrée Maeva qui étale sa culture, à l’aise qu’elle est avec Blaise ! Blaise Pascal pour les illettrés.
[3] Maeva précise qu’elle n’est pas contre le parti bleu s’il ne brunit pas… Ah ! bon !
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