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La colonisation consentie selon le professeur Saura


Commentaire : Un peu plus de vingt ans séparent les deux ouvrages et l’auteur (pourvu que Te Atua lui prête vie) n’exclut pas un troisième tome.

Le professeur Saura lance des défis. Il souhaiterait que quelqu’un écrive un contre-ouvrage au Noanoa de Paul Gauguin et un pamphlet qui s’intitulerait Titoi. De quoi exciter mes papilles littéraires. Mais comme disaient les anciens : « il ne faut jamais poéter plus haut qu’on a le luth ».

Bien sûr, je me suis précipitée pour acheter le nouvel ouvrage du professeur Saura (et le lire… pas comme beaucoup qui achètent des ouvrages pour laisser croire qu’ils sont au courant des nouveautés). Mon papy me l’avait recommandé et m’avait conseillé de lire d’abord le tome 1 paru il y a plus de vingt ans. Il me remit son exemplaire, soigneusement annoté et souligné.


Pensez si j’ai été séduite par la présentation de l’ouvrage. En fait, attirée par le sous-titre évoquant une situation coloniale consentie. Personnellement, j’aurais plutôt écrit « une situation coloniale consanguine ». L’universitaire évoque l’originalité de la population polynésienne fortement métissée, mais qui cherche à s’accrocher à de solides racines autochtones. Et puis le titre lui-même m’intéressait. Moi qui aie vécu à Nouméa et à Papeete entourée de gens qui se voulaient (plus ou moins, il est vrai, fidèles à la France pour des raisons différentes), j’avais été troublée lors de mes études en métropole. Ces Océaniens qui cherchent à donner un sens à leur citoyenneté française étaient-ils des Français (à part entière ou entièrement à part comme se le demandent certains ultramarins) comme ceux que je côtoyais à Paris ou à Bordeaux ? Certainement pas ! Un Caldoche n’est pas un Bordelais. Un électeur de Flosse, version autonomie, pas davantage. J’avais beaucoup ri après le Taui quand il y eut des manifestations de « patriotes ». Je n’ai jamais su s’ils étaient les patriotes d’une patrie ma’ohi (pour laquelle ils étaient prêts à mourir) ou d’une patrie française pour laquelle ils consentiraient à faire des sacrifices…


Alors j’ai lu les deux tomes « Des Tahitiens et des Français », avec enthousiasme je l’avoue. Évidemment, des passages m’ont laissée perplexe comme lorsque l’auteur constate que les Polynésiens deviennent de plus en plus catholiques car cette religion (romaine puisqu’on la qualifie ainsi, mais j’ignorais que Jésus était né à Rome) « convient mieux à une société toujours plus occidentalisée et toujours plus francisée » (p. 141, pour vous prouver que j’ai bien lu l’ouvrage). Curieux quand même quand les Français délaissent toujours plus le catholicisme !


Enfin, je n’en dirai pas plus sur le fond et il ne manquera pas quelque ethnologue, anthropologue, sociologue ou historien, voire géographe (catégorie géographie culturelle puisqu’en lisant Tahiti Pacifique, j’avais appris que ça existait, sans savoir à quoi voulait aboutir cette « science »). Il y aura bien quelque jaloux pour contrecarrer l’essai !


Dans la rubrique « Adrénaline », je me contenterai de souligner les passages qui m’ont amusée, car sous l’étude savante, le professeur ne manque pas d’humour.


Page 23, on apprend que si les Polynésiens sont progressivement francisés, ils n’en continuent pas moins à proclamer leur différence (voir la p. 205 sur la danse qui incarnerait un des derniers remparts de l’identité), mais ce serait peut-être le chant du cygne… Autrement dit, plus ils proclameraient leur « maohitude », plus ils deviendraient chaque jour un peu plus Français de culture, que ce soit dans les domaines de l’alimentation, de l’expression, du travail ou des loisirs (dit l’auteur p. 36). Donc un grand écart qui risque de faire mal, surtout si (voir p. 160) les garçons portent le « terrible » collant cycliste « qui souligne les formes » ! Une copine me dit un jour : « T’as vu ce chaplin, il a un short wonderbra ! ».


Le comble, ce serait que les Polynésiens deviennent râleurs comme les farani (p. 161). Un coup d’œil sur les réseaux dits sociaux le confirme !


J’ai trouvé des pages succulentes (190-193) sur les Polynésiens qui ne voient pas l’intérêt de « vivre vieux », donc n’envisagent pas de mourir à 90 ans, vissé à un fauteuil roulant dans un EHPAD ! Mais quelle femme ou quel homme dans le monde envisageraient une telle fin avec sérénité ?


Citant un de ses collègues de l’UPF, le professeur Saura déplore le lent dépérissement des langues locales qui ne sont plus guère utiles pour ceux qui cherchent l’ascension sociale, sauf s’ils veulent faire carrière dans le journalisme ou la politique. Et de citer tous les besogneux qui, pour gagner des voix, se mettent à apprendre la langue de leurs ancêtres (du moins d’un côté). Mais papy m’a rappelé que Gaston Flosse avait eu du mal (au début de sa carrière politique… il y a 64 ans) à parler publiquement en tahitien (il possédait surtout le mangarévien).


L’auteur s’amuse des misses et tane météo qui ont quelques difficultés à présenter le bulletin en reo tahiti. Qu’il se rassure, en français ce n’est guère mieux quand ils annoncent que « le soleil sera majoritaire » (la majorité des voix lactées sans doute) !


Ce qui m’a plu dans les ouvrages cités, c’est le sens de la nuance. Par exemple :

- Des Polynésiens (« des colonisés » précise l’auteur) bénéficient de privilèges comme certains expatriés (s’ils sont fonctionnaires d’État) (p . 57).

- Les popa’a semblent respecter davantage l’écologie du pays que les autochtones (p. 65).


Donc Bravo monsieur le professeur ! J’ai sacrifié ma série préférée à la télé pour lire votre ouvrage le plus vite possible.


Si j’ai beaucoup aimé ce tome 2, j’ai surtout retenu ce que le professeur Saura avait écrit dans le tome 1 : « Ni les hommes, ni les femmes de ce pays n’ont jamais sérieusement essayé de se blanchir pour ressembler à de vrais Français ». Je reste avec cet optimisme-là que j’espère toujours d’actualité. Une question demeure. Si l’auteur avait pris la précaution de mettre entre guillemets « vrais Français », je m’interroge encore sur ce que l’expression recouvre. Il se trouve que la revue Philosophie Magazine vient de sortir un numéro (le 156) sur la question : « C’est quoi un bon Français ? ». Je suppose que je ne trouverai pas cette revue en librairie à Tahiti. Il faudra donc que j’aie recours aux circuits qui permettent, à mon corps défendant (et surtout à mon esprit rétif), d’avoir accès à la « haute pensée philosophique ». Hélas ! cela donne raison au professeur qui avait bien vu les choses dans le tome 1 : « La culture française, dans ce qu’elle a de plus brillant, n’est guère accessible au commun des Tahitiens ». À qui la faute ? Au colonisateur, bien entendu !





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