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Depuis que Brigitte me dit : « Gamin, viens avec moi à la superette … »




Je m’étais persuadée qu’Emmanuel était au chômage technique depuis qu’il avait trouvé des hommes et des femmes qui acceptaient de se faire engueuler à sa place, encore que, ces derniers, quand il y a un problème, accusent tout de go le Président d’en être responsable. À la question « le courage politique existe-t-il encore ? », vous avez la réponse !

 

Cela me démangeait de reprendre nos entretiens du matin (enfin, je veux dire du matin pour lui, du soir pour moi quand je quitte le bureau). Curieusement, je n’eus droit plusieurs matins (oui, soirs pour moi) qu’à un répondeur : « le Président est surbooké, veuillez rappeler ultérieurement ou laisser un message bref indiquant le motif de votre appel ». J’étais surprise – et même inquiète – car, selon mon honorable correspondant, très peu de privilégié(e)s ont accès à ce numéro très privé et très prisé.

 

Ouf ! vendredi dernier (donc samedi matin à Paris), dès la première sonnerie, j’entendis un retentissant : « Iaorana, Maeva ! ». Un timide bonjour de ma part fut immédiatement coupé par un reproche : « il t’en a fallu du temps pour m’appeler ! ». Emmanuel était-il de mauvaise foi ? Je me perdis en explications. Avant les élections, ce n’était pas le moment. Pendant les élections, ce n’était pas le moment. Après les élections, c’était encore moins le moment puisqu’il fallait déterminer qui avait gagné ou qui avait perdu. Pas aisé ! Pas évident du fait que ceux qui avaient le plus d’élus n’étaient pas ceux qui avaient eu le plus de voix et que ceux qui avaient eu le plus de voix ne comprenaient pas pourquoi ils avaient si peu d’élus. Pas évident d’avoir vanté le renouvellement des générations en politique et de constater que les chevaux de retour se mettaient en piste pour remplacer le plus jeune Premier ministre que la France ait connu.

 

Il me brûlait d’interroger le Président sur son désormais emploi du temps. Lui qui, naguère, s’occupait de tout, voyait virevolter autour de lui des personnages le flattant : « prenez de la hauteur, Président, je vais m’occuper de ceci ou de cela et, de temps à autre, je viendrai vous demander un conseil dont je ne tiendrai pas compte, détendez-vous Jupiter ! ». À moi, Emmanuel confia : « tu sais Maeva, je suis plus occupé qu’auparavant ! ». Je ne pensais pas sérieusement qu’il se régalait des affaires régaliennes qui aliènent généralement les présidents potiches. J’allais à tâtons : « vous n’avez quand même pas 24 heures sur 24 Zelenski ou Netanyahu au téléphone ! ».

 

Un court silence me fit penser qu’il était vexé. Il était vrai qu’il lui fallait bien quand même connaître l’état de santé de Poutine ou de Donald Trump, savoir si Joe Biden vieillissait bien et si le roi Richard III n’allait pas abdiquer. Peut-être appelait-il Pedro Sanchez pour lui apporter un soutien au soutien de sa femme calomniée par les nostalgiques de Franco ou le roi du Maroc pour le prier de reprendre les repris de justice de chez lui qui hésitaient à refranchir le détroit de Gibraltar ce qu’ils considéraient comme un coup de Trafalgar. Mais toutes ces mondanités ne lui prenaient quand même pas tout son temps ! Vint alors l’aveu de la bouche même de l’encore Président…

 

« Désormais, me dit-il, c’est Brigitte qui règle mon agenda ». Je n’en croyais pas mes oreilles et les tins sourdes pour ne pas lâcher une incongruité.

 

« Oui, poursuivit le locataire de l’Élysée au bail fort avantageux, elle me réveille très tôt et me dit viens gamin, on va à la supérette faire les courses pour la journée ! ». Je ne pipais mot.

 

« Nous allons faire nos courses dans une supérette du quartier ouverte 24 heures sur 24. Tôt le matin, il n’y a pas encore grand monde et nous pouvons prendre notre temps pour choisir les viennoiseries et comparer les prix avec d’autres superettes car le service de sécurité nous contraints à en changer tous les jours. Heureusement, le quartier n’en est pas démuni ».

 

« Les clients doivent être surpris, les commerçants aussi, osais-je ».

 

« Que nenni, Maeva ! Que nenni ! À cette heure-là, les clients ne sont généralement pas du genre à regarder les actualités à la télé. Tout au plus, une fois ou deux, j’ai entendu un client dire au gérant que si l’Élysée venait faire ses courses, la demande devenant plus forte que l’offre, les prix allaient monter. Bien sûr, Brigitte commence à être connue et la première fois que je l’accompagnai, j’ai ouï un t’as vu la madame elle a reçu la visite de sa descendance. Fort condescendante, Brigitte resta marmoréenne [1]… ».

 

« Mais ça ne dure pas trop longtemps, vos achats… ».

 

« Détrompe-toi, Maeva, car Brigitte prolonge le petit déjeuner par une leçon sur les prix des aliments et ensuite, elle me demande de lui suggérer les repas du midi et du soir. Moi, je suis frugal ! Manger est une nécessité et je ne fais pas preuve de cécité sur l’intérêt de bien consommer, mais ce n’est pas une préoccupation ».

 

« Nunui est comme vous Président, toujours content de ce que je lui prépare ou ramène de ma supérette préférée ».

 

« C’est bien, c’est bien ! Tu salueras Nunui de ma part. J’espère que votre couple ne bat pas de l’aile après ce que j’ai lu dans ton dernier billet sur le candaulisme !  J’ai cru comprendre que tu tenais trop à ton compagnon et que tu lui pardonnais des idées saugrenues ». Je n’avais pas envie d’aborder ce sujet et demandai si Brigitte avait d’autres projets pour meubler l’agenda de son président de mari.

 

« Le soir, c’est la même chanson : Viens gamin, on va aller aux maraudes. On prend les restes des trois repas de la journée, Brigitte les accommode pour les rendre présentables et nous voilà partis dans les quartiers où les sans-abris pullulent. Bien sûr, tous les deux nous nous arrangeons pour être méconnaissables. Brigitte est experte en maquillage. Elle m’a déniché une photo de François Mitterrand quand il partait en action de résistance pendant la guerre sous le pseudonyme de Morland. Eh bien, après les arrangements de Brigitte, je lui ressemble ! J’en suis très fier ».


« Vous prenez François Mitterrand comme modèle et vous nommez comme Premier ministre quelqu’un qui n’aime pas la gauche… J’ai du mal à vous suivre Président ».

 

« Si je te confiais des responsabilités politiques, tu comprendrais vite ce qu’est la politique ».

 

« J’ai compris, mais je préfère rester à ma place. Et j’ai l’impression de la Première dame est du même avis que moi ».

 

« Pas du tout, pas du tout, Maeva ! Brigitte a toujours été ma principale conseillère…  je ne l’ai pas souvent écoutée, voilà tout ».

 

« Dois-je subodorer qu’en vous faisant parcourir les supérettes du quartier et vous traînant aux maraudes, elle veut vous faire comprendre quelque chose ? »

 

« Parfaitement, Maeva, parfaitement ! Brigitte se soucie de l’image que je laisserai dans l’Histoire de France. Comme elle est dégradée - du fait que les Français ne sont pas suffisamment instruits pour comprendre la finesse de mon projet – il faudra que dans les deux ans et demi qui me restent à l’Élysée, je redresse la barre. Brigitte voudrait que j’apparaisse plus humain comme elle dit. Ce sera un peu difficile. Brigitte m’a grondé la semaine dernière parce que j’avais dit à un SDF qu’il trouverait des prix pour se nourrir plus intéressants qu’ailleurs dans la supérette X, proche de chez nous, tenue par un couple du même sexe. Donc j’apprends tous les jours. Je comprends peu à peu ce que signifie l’inflation. Quand j’étais banquier, je savais que l’inflation résultait d’un déséquilibre entre l’offre et la demande. Brigitte m’a expliqué que l’inflation c’était quand on allait à la supérette tous les jours avec le même billet de vingt euros pour acheter des poireaux, mais que chaque jour le commerçant en donnait un peu moins jusqu’au moment où il ne délivrait même plus un poireau entier. Ça m’a fait un choc d’apprendre l’économie de cette façon. Mais mes progrès ne sont pas linéaires. L’autre soir, nous avons croisé une jeune femme SDF qui a reconnu Brigitte malgré son maquillage et lui a demandé si, à l’Élysée, il n’y aurait pas un recoin où elle pourrait s’abriter. J’ai coupé la parole à Brigitte et j’ai voulu encourager la dame. Je lui ai dit que j’étais sûr que si elle traversait la rue, elle trouverait bien un monsieur qui désirerait faire son bonheur. Brigitte n’était pas contente alors que j’étais certain d’avoir fait preuve d’empathie ».

 

« C’est sûr qu’à l’ENA on n’apprenait pas ces choses ! »

 

« C’est bien parce que je pressentais cela que j’ai décidé une grande réforme de l’ENA ».

 

Là, j’ai eu peur de me fâcher, mais comme je l’aime bien ce Président, j’ai préféré modifier le cours de la conversation en maniant ce que je pensais être de l’humour.

 

« Si j’ai bien compris la politique du Gouvernement actuel, la rigueur sera telle que nulle ou nul ne sera é-Barnier ».

 

« Du moment qu’avec sa politique nul ne soit é-Bornier, je me rassure ».

 

J’entendis Brigitte : « Dépêche-toi de venir petit déjeuner gamin, après on doit aller voir où les joueurs de boules de Montmartre ont trouvé une nouvelle base de lancement ! C’est important d’avoir de son côté les acharnés du cochonnet ».

 

Emmanuel, je pense, avait discrètement raccroché.



Comme traditionnellement, l’intelligence superficielle commente les billets de Maeva avec un œil critique et amusé


[1] Maeva aurait pu faire un effort de simplification comme on dit dans les administrations brouillonnes et se contenter d’écrire que Brigitte resta de marbre devant l’insulte, sauf que le mot marbre parle davantage à la lectrice ou au lecteur mais pourrait suggérer que Brigitte est un « glaçon »… Le mot marmoréen ne disant rien aux simples lettré(e)s, la constatation est escamotée !

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