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Bienvenue en nécrocratie

« Laisse les morts enterrer leurs morts ».

Évangile selon Matthieu, chapitre 8, verset 22.


« Et si nos vieux nous posaient simplement la question : les voulons-nous vraiment vivants ? »

Jérôme Pélissier, La nuit tous les vieux sont gris,

éd. Daniel Radford, Paris, 2003.



Remarque préalable : cette nouvelle déjà publiée dans mon livre sur les noix de coco a été rédigée fin 2018. Avant le Covid et avant la défaite de Donald Trump. Pour autant, l’essentiel c’est la projection dans une Polynésie de demain avec ses qualités et ses défauts qui sont moqués. La nouvelle a été légèrement revue et corrigée (Maeva).


Égaler et dépasser Jeanne Calment


25 novembre 2019. Le professeur Levieupanez, chef du service de gérontologie de l’hôpital du Taaone, convoqua les médias pour une conférence de presse au cours de laquelle devait être annoncée une nouvelle stupéfiante.


25-28 novembre. Jamais conférence de presse n’avait suscité autant d’interrogations et de fausses nouvelles bien dans l’air du temps.


Il se murmurait que le professeur, mécontent de ses appointements, envisagerait d’arrêter les soins de tout patient nonagénaire. Les journaux bruxellois venaient de rapporter les résultats d’un sondage selon lequel 79% des Belges approuvaient la suggestion du leader de la Ligue flamande (un parti d’extrême-droite) d’arrêter les soins de toute personne de nationalité belge âgée de plus de 85 ans. Les sondeurs n’avaient pas questionné leur panel sur l’autre proposition de la Ligue sur l’arrêt des soins aux immigrés dès l’âge de 56 ans.

 

Avertissement : toutes les notes qui suivent sont générées automatiquement par le recours à l’intelligence superficielle.

- Nécrocratie = pouvoir des morts. Néologisme employé par la journaliste franco-algérienne Meriem Amellal, de France 24, à propos de la présidence d’Abdelaziz Bouteflika.

 

Le site de Tahiti-News affichait – sous une photo du chef de service – ce titre : Ça se gâte pour les gâteux. Quant à Radio 9, son éditorialiste prétendit que le professeur Levieupanez allait annoncer qu’il prendrait sa retraite (il aurait 82 ans le 28 novembre) et qu’aucun confrère n’avait candidaté pour le remplacer. Il ne ferait donc plus bon vieillir en Polynésie. Pourtant, les statistiques le prouvaient, les Polynésiens commençaient à s’habituer à vieillir. Avant 2007, un habitant sur 20 seulement avait plus de soixante ans. Tirant les conclusions du recensement de 2012, l’Institut de la statistique tirait la sonnette d’alarme : « le film du vieillissement va s’accélérer à partir de 2017 ». L’Institut prévoyait qu’en 2027 ce serait un habitant sur six qui aurait plus de soixante ans. Beaucoup envisageaient donc l’avenir avec optimisme. « Je pourrai bénéficier longtemps de ma retraite » disaient les uns, les unes et les autres. C’étaient surtout les uns qui se réjouissaient car leur espérance de vie s’accroissait plus vite que celle des unes. Au train où allait le rythme du vieillissement des mâles, ceux-ci pouvaient espérer statistiquement accéder au veuvage, ce que la démographie d’avant ne permettait pratiquement pas. Pour peu qu’ils ne prissent pas compagne trop jeune, tous les espoirs étaient permis. L’éditorial fit scandale parmi la gent féminine qui prétendit que, de toute façon, la grande majorité des hommes n’attendait plus le décès de leurs épouses : ils les quittaient bien avant.


28 novembre 2019, dix heures du matin. Tables dressées dans le hall de l’hôpital. Caméras positionnées. Afflux inhabituel de journalistes et de curieux.


Dix-heures quarante-cinq. Arrivée de Levieupanez [1] en blouse blanche, stéthoscope en guise de pendentif. Silence.

Mesdames et messieurs, je vous remercie d’être venus si nombreux. Allons au but. Dans mon service, mes collaborateurs et moi-même ne nous contentons pas de soigner, voire de prévenir, nous cherchons. Qu’est-ce que nous cherchons ? Notre vocation, à nous gérontologue, c’est d’étudier les mécanismes du vieillissement et d’en retarder les effets. Selon le Psaume 90, dans la Bible, « la durée de notre vie s'élève à soixante-dix ans, et pour les plus robustes à quatre-vingts ans ». Déjà, la science a permis d’aller au-delà de ce bilan biblique. Cependant, les plus grands spécialistes du monde, dont je fais partie, estiment que la limite actuelle de l’existence s’établit autour de 112 ou 113 ans. Le cas de Jeanne Calment, doyenne de l’humanité, décédée à 121 ans, est évidemment suspect. La nouveauté, c’est que dans notre laboratoire, grâce à un esprit de persévérance sans faille, j’ai mis au point un mélange dont les composants ne sont à injecter qu’une fois et peuvent certainement prolonger la vie de cinq ou six décennies. Du moins, les tests effectués sur les geckos qui envahissent l’hôpital, nous permettent d’envisager une telle espérance de survie. Voilà, Mesdames et messieurs, ce que la Polynésie va apporter au monde par le biais de mes expériences.

 

[1] Sur le papier qu’il remit aux médias, le professeur Levieupanez avait écrit « nous, gérontologue », ce qui signifie que le nous était ce qu’on appelle un nous de majesté. Du moins est-ce la conclusion logique du singulier singulier du mot gérontologue.

 

Les questions fusèrent dans le plus grand désordre. Un journaliste d’origine asiatique demanda combien la piqûre coûterait. Une présentatrice de journal télévisé s’enquit de savoir si une femme de cent-vingt-cinq ans pourrait être encore jolie et rester télégénique. Le rédacteur en chef de Tahiti-News se demandait si des volontaires s’étaient présentés pour tester le traitement. Un homme politique souleva la question de la virilité chez des hommes qui dépasseraient cent ans. Imperturbable, le professeur expliqua :

Il y a trois ans, je me suis injecté le produit. Il faudrait sans doute attendre une vingtaine d’années pour tirer des conclusions solides. Cependant, dès aujourd’hui, je peux attester que je me porte très bien. Compte tenu de l’immense attente de l’espèce humaine, le temps est venu d’en faire profiter le plus de sexagénaires possible. Je pense d’abord aux Polynésiens en raison du nombre limité de doses que nous avons mises au point actuellement.


« Professeur ! Professeur ! Pourquoi parlez-vous seulement des sexagénaires ? ».

« Professeur ! Pouvez-vous nous livrer la composition du produit que vous vous êtes injecté ? ».

« Professeur ! la Polynésie tirera-t-elle des avantages de votre découverte sur le plan financier ? ». Des dizaines de questions plus ou moins pertinentes fusaient. Le professeur se fit prier, puis reprit la parole :

N’escomptez pas que je vous livre les secrets de mes expériences. Ce que je peux vous dire, c’est que les études semblent indiquer que la prolongation de l’existence serait la même, quel que soit l’âge auquel serait pratiquée l’injection. Il faut donc évaluer à partir de quel moment il paraît souhaitable de procéder à celle-ci. L’âge de soixante ans pour les hommes me paraît raisonnable. Pour les femmes, il serait bon d’attendre qu’elles devinssent septuagénaires. Dans quelques années, les hommes de plus de soixante ans et les femmes de plus de soixante-dix ans auront la force et la séduction qu’avaient nos pères et nos mères à trente-cinq ans. Donc aucun souci pour l’aspect physique des prolongés. Pour l’instant, je n’ai pas pu établir de corrélation entre les effets du produit sur la suppression du vieillissement et la virilité. Personnellement, je n’ai pas voulu attendre les résultats. Depuis une quinzaine d’années déjà, je suis consommateur de pilules bleues ou jaunes selon les partenaires et celles-ci s’en satisfont.


Certains et certaines éclatèrent de rire. D’autres s’offusquèrent de tels propos. Le curé de la cathédrale se signa et sortit. Que deviendraient les SDF dont il s’occupait si leur calvaire devait durer soixante années de plus ?


D’autres questions furent encore posées.

« Votre médication empêchera-t-elle l’apparition de maladies comme des cancers ? ou des maladies cardio-vasculaires ? ».

« Comment mourront les personnes dont vous aurez prolongé l’existence ? ».


Le professeur se fit plus docte encore qu’il n’était :

Mes recherches montrent sans aucun doute possible que le produit que j’ai conçu bloque le développement de toute maladie à partir du moment où l’injection a été reçue. Quant à la fin de vie, elle sera probablement simplement retardée… Enfin, quand je dis retardée, je veux signifier de cinquante ou soixante ans.


Les auditeurs sourirent. Levieupanez poursuivit :

Oui, à moins que de nouvelles recherches soient couronnées de succès, il faut bien admettre qu’à un moment donné le produit ne fera plus d’effets. En même temps, la médecine aura réalisé de tels progrès que bien des maladies létales auront été efficacement combattues.


« En quelque sorte, professeur, vous nous annoncez l’immortalité de l’homme ! ».


« De la femme aussi, rassurez-vous », répondit le professeur Levieupanez, hilare et très satisfait de lui-même.


Grâce aux nouvelles technologies de l’information, le monde entier apprit immédiatement la formidable découverte d’un médecin de Tahiti. Les appels téléphoniques ne cessèrent pas et firent exploser le standard de l’hôpital.


Le professeur Levieupanez reçut un appel sur son portable qui ne le surprit qu’à moitié. Le président Donald Trump en personne le félicita chaleureusement : « vous avez formidablement réussi une expérience sublimissime ». Le professeur attendait la suite en souriant. L’homme à la chevelure rebelle lui proposa des sommes colossales pour qu’il vînt à Washington lui injecter le produit dans les plus brefs délais.

« Seriez-vous prêt à renoncer au mur que vous voulez édifier à la frontière mexicaine ? » interrogea, facétieux, le professeur Levieupanez. Le Président se montra inquiet :

Vous ne pouvez pas me demander ça. Si vous ne m’injectez pas votre tisane je ne suis pas sûr d’être encore en vie l’année prochaine quand les Américains revoteront. Et si je suis toujours vivant, mais que je renonce à mon mur, mes électeurs me lâcheront.


Le professeur déclina l’offre du président américain qui le menaça alors de la plus formidable opération aéroportée de l’histoire du monde sur l’île de Tahiti. Le gérontologue sourit et raccrocha.


Le président américain téléphona au président de la Polynésie française, prétextant d’abord qu’il voulait savoir où en étaient les négociations commerciales entre les deux pays. Le président Anouar Fichtre déplora :

Au point mort, au point mort. Pourtant, nous avons tout fait pour satisfaire vos exigences. Notre compagnie d’aviation a acheté cinq Boeing plutôt que des Airbus. Les services de notre Équipement ont fait équiper Papeete de passages supérieurs avec élévateurs pour que vos compatriotes nonagénaires qui débarquent des navires de croisières puissent surmonter nos boulevards en toute sécurité. Et malgré cela, vous avez laissé des taxes très élevées sur notre vanille et notre noni [2].


[2] Il s’agit du nono, un fruit de l’arbre éponyme, endémique en Océanie, qui auraient de nombreuses vertus médicinales. Pour faciliter sa commercialisation, on l’appelle noni.

Le milliardaire assura qu’il veillerait pour que ce problème de taxation trouvât un heureux dénouement. Il évoqua sa conversation avec le professeur Levieupanez et mit dans la balance la baisse des taxes évoquées et l’obtention d’une dose de la médication du professeur.


Le président Fichtre répondit que cela ne ressortissait pas de sa compétence puisque la recherche scientifique était statutairement dévolue à l’État. De plus, selon ses informations, le Gouvernement français voulait réserver les doses disponibles aux Polynésiens qui se prétendaient irradiés. Ainsi, le problème des indemnisations serait résolu et l’État se sortirait de ce guêpier[3]. « Désolé Donald, dit Fichtre, je ne peux rien faire pour toi, mais si tu veux, j’intercèderai auprès de l’amiral pour qu’il reconsidère le dossier ». Le président américain ne remarqua pas qu’il avait été familièrement tutoyé, l’interprète n’ayant pas fait ressortir cette particularité des relations selon les Polynésiens.


[3] Un quotidien de la place titra : « Fin du gay pied de l’indemnisation ».


« Donald » s’en prit vivement à Anouar dans un tweet : « un administrateur d’un pays destiné à la submersion – le réchauffement climatique peut avoir du bon – a osé insulter le peuple qui redevient grand ».


Donald Trump, toujours à la recherche de la pierre philosophale, soit pour lutter contre le Covid, soit pour ralentir le vieillissement, soit pour arrêter les migrants. ©REUTERS/Dominick Reuter

 

1er décembre 2019, quatre heures du matin. Plus aucune liaison internet, même pas de lignes téléphoniques opérationnelles. Sur l’aéroport de Tahiti-Faa’a, un commando de marines américain débarquait. Il réquisitionnait les taxis qui attendaient les passagers des vols du matin, lesquels avaient été détournés sur Rarotonga, aux îles Cook. Vingt minutes plus tard le professeur Levieupanez était sorti de son lit et emmené manu militari vers l’aéroport et ses ordinateurs confisqués. Une autre équipe déboulait à l’hôpital du Taaone et s’emparait de la totalité du matériel du laboratoire de gérontologie.


C’est à l’hôpital du Taaone à Pirae que le professeur Levieupanez était censé mener ses travaux.

 


Cinq heures du matin. L’avion qui avait amené le commando décollait avec à son bord le professeur Levieupanez et le produit de ses découvertes. Ce que les marines n’avaient pas prévu, c’était que toutes les indications dans l’aéroport étaient en reo ma’ohi. Il y eut méprise sur les camions de ravitaillement en carburant. En arrivant au-dessus de Tetiaroa[4], l’avion toussota, puis piqua du nez. Les touristes privilégiés du Cinq étoiles entendirent une terrible déflagration. Dès que les liaisons internet furent rétablies, les forces françaises arrivèrent sur les lieux avec les bateaux et les hélicoptères disponibles. On ne retrouva rien.


[4] Atoll autrefois propriété de Marlon Brando et aujourd’hui domaine d’un consortium qui y a édifié un hôtel de super-luxe. Barak Obama y séjourna en janvier-février 2017 après avoir quitté la Maison blanche. Il commença à rédiger ses mémoires. La rumeur rapporte qu’il rencontra quelque universitaire spécialiste de science politique qui lui aurait donné quelques précisions sur la vie politique française métropolitaine et même polynésienne au cas où l’ex-président souhaiterait faire des allusions aux relations Washington/Papeete.


La France saisit l’ONU pour la violation de son territoire. Le président Trump nia toute implication dans cette affaire. Comme tout avait disparu, il ne pouvait pas être question d’accuser les États-Unis d’Amérique qui respectaient toujours la souveraineté de ses ennemis et même, parfois, de ses alliés.


4 décembre 2019. L’adjoint du professeur Levieupanez déplora la disparition d’un homme irremplaçable, secret de surcroît qui gardait pour lui ses découvertes, mais également désordonné. Il rapporta qu’une semaine plus tôt, le professeur avait rendu visite à un confrère. Les deux médecins décidèrent de prolonger leur entretien en déjeunant au Black, le restaurant qui jouxtait l’hôpital. Le professeur Levieupanez défit sa blouse blanche et l’accrocha à une patère. Le repas fut bien arrosé car le gérontologue savourait déjà ce qu’il annoncerait quelques jours plus tard. Il persuada son confrère de trinquer à un formidable succès des spécialistes du Taaone. Il est vraisemblable que le professeur, distrait, regagna son bureau, enfila une blouse propre et eut l’esprit accaparé par la jouissance de sa célébrité à venir.


Or, expliqua l’adjoint de feu le professeur, hier, appelé par le chef du Black, il récupéra la blouse oubliée… et y trouva trois doses du fameux produit, trois doses ayant échappé au kidnapping et sans doute les seules qui subsisteraient encore. L’adjoint précisa que ces doses venaient d’être déposées dans un endroit bien protégé et tenu ultra-secret.


Le monde entier s’interrogea sur ce qu’il devrait advenir des trois doses. Après avoir bien étudié le statut de la Polynésie, les meilleurs juristes estimèrent que si la recherche était une compétence partagée avec l’État selon des modalités complexes, trois doses d’un « médicament » non officiel étaient comme des objets trouvés, donc propriété de la Collectivité ayant pour appellation Polynésie française. Le président Fichtre proposa l’organisation d’une large conférence qui déciderait de l’usage que l’on ferait de cette médication.


La conférence se tint sous le chapiteau dressé dans la cour du palais présidentiel. Elle réunit le gouvernement, les membres de l’assemblée et ceux du CESCE[5], le conseil de l’ordre des médecins, le conseil de l’ordre des pharmaciens, la Chambre de Commerce et des boutiquiers, les syndicats, les représentants des Églises (à l’exception des Témoins de Jéhovah dont on savait par avance qu’ils seraient contre l’usage des trois doses), des universitaires choisis parmi ceux des «sciences dures » ou parmi ceux qui avaient travaillé sur les médecines traditionnelles et pouvaient estimer si cette médication ne viendrait pas troubler l’identité ma’ohi. Furent également invitées quelques personnalités dont la presse remarquait qu’elles étaient « incontournables », non en raison de leur embonpoint, mais de leur capacité à immortaliser ce moment : un célèbre chanteur qui ne manquerait pas de créer un tube sur le sujet, une photographe géniale, une journaliste qui faisait la pluie et parfois le beau temps et dont on pensait que l’une des trois doses lui ferait le plus grand bien, un sportif qui avait porté haut les couleurs du Fenua et aurait beaucoup à dire sur le dopage, car d’aucunes estimaient que les doses étaient assimilables à de la drogue et enfin, sur la pression du curé de la cathédrale, un SDF qui ne manquerait pas d’alerter sur les priorités devant retenir l’attention des élites de ce pays.


[5] CESCE = Conseil économique, social, culturel et environnemental, assemblée qui coûte cher à la collectivité et au rôle essentiellement consultatif, c’est-à-dire totalement inutile.


Un universitaire demanda qu’on procédât avant toute chose à l’analyse du produit et proposa ses services. Un représentant de la Chambre de Commerce objecta qu’on risquait de se retrouver avec le même problème que celui posé par le Coca-Cola. Tout le monde en buvait alors que seuls quelques savants en connaissaient la composition. L’argument surprit, mais l’assemblée poursuivit ses travaux. À entendre certaines interventions, on notait que les quidams qui les formulaient souhaitaient – avec un dévouement qu’il y aurait lieu de glorifier - se porter volontaires pour en tester l’efficacité. Les plus décidés à essayer d’obtenir le produit prenaient alors la parole en ces termes : « Non, pas vous cher ami. Nous vous tenons en haute estime et vous avez encore tant à apporter au pays qu’il ne serait pas raisonnable que des effets secondaires vous touchassent et diminuant ainsi vos capacités physiques et intellectuelles qui font l’admiration de tous ». Un représentant des gilets verts dont le mouvement manifestait depuis huit mois chaque dimanche pour réclamer, qui davantage de transparence dans la vie politique, qui des mesures pour sauver les atolls de la submersion, qui la fin des taxes sur les cacahuètes et le tabasco… ce représentant proposa qu’on fît désigner par le peuple les trois personnalité(e)s qui auraient le privilège de se faire injecter ledit produit. Les représentants de l’assemblée de la Polynésie française applaudirent à tout rompre. Personne n’osa s’opposer à un tel enthousiasme et l’accord se fit à l’unanimité, moins la voie du SDF qui aurait aimé que la réunion se prolongeât plusieurs jours, avec ses petits fours et boissons diverses au moment des pauses.


Le gouvernement organisa donc un appel à candidatures, lesquelles seraient soumises à un Comité d’éthique, vite baptisé dans la presse sarcastique de « comité des tiques ».


Miss Tahiti, récemment élue Miss France, comme la précédente titulaire, ne fut pas acceptée car le Comité d’éthique imposa la règle de soixante-dix ans pour les femmes. L’argument avancé par la délicieuse créature était qu’elle vivrait un demi-siècle sans avoir à se préoccuper de l’apparition de ces terribles maux qui touchaient les femmes en particulier. Le Comité d’éthique étant constitué majoritairement d’hommes, l’argument ne fut même pas examiné.


Une ancienne conseillère de l’APF se porta candidate. Elle venait d’atteindre l’âge nécessaire. Elle justifia sa prétention en avançant qu’elle avait fait beaucoup pour l’égalité hommes/femmes, mais que le combat n’était pas achevé. Elle ne voyait pas qui pourrait prolonger la lutte encore un demi-siècle.


Un chanteur célèbre se mit sur les rangs. Lui seul pouvait faire résonner la culture du pays au-delà de l’Océan Pacifique, comme l’avait prouvé sa prestation à l’Olympic casino de Paris.


Un retraité venait d’épouser une très jeune femme. S’il lui arrivait malheur, à lui, la dulcinée ne toucherait qu’une faible partie de la pension de réversion. Celle-ci irait en quasi-totalité à sa première femme qu’il avait conservée quarante-sept ans et six jours. Le prolonger, lui, serait faire œuvre charitable envers sa neuve femme, neuve convenant mieux que veuve.


Une ancienne chercheuse de l’Université de l’Océanie - qui avait travaillé sur l’éradication du miconia, une peste végétale qui avait envahi les îles de la Société – se mit sur les rangs afin de poursuivre ses travaux qui devraient déboucher sur une solution d’ici quinze ou vingt ans.


Un homme d’affaires retint l’attention de ses créanciers. Installé depuis quelques années seulement en Polynésie, il devait chambouler la grande distribution et acquérir une telle réputation qu’immanquablement les électeurs lui confierait la direction du pays. Las ! il ne recueillit que 1,84% des suffrages et, surtout, toutes ses enseignes capotèrent. Ses dettes s’accumulaient. Comme il ne voulait pas que ses enfants héritassent un jour de celles-ci et que sa foi – c’était la Vierge en personne qui l’avait poussé à venir à Papeete – et que sa foi, donc, l’obligeait à indemniser ses créanciers, il estimait que trente années de travail lui permettraient de s’acquitter envers eux.


L’archevêque était persuadé que vox dei serait vox populi. Le Père éternel lui avait confié une double tâche : nettoyer l’Église de Tahiti de pratiques gestuelles inappropriées et débarrasser nos îles des autres Églises, qu’il baptisa de sectes « américano-orientales ». Un journaliste l’interrogea sur sa mission divine et lui fit remarquer qu’éradiquer la misère serait sans doute plus adéquat que l’extirpation des hérésies. « Dieu a confié cette mission charitable au curé de la cathédrale » répliqua le prélat. Après tout, à chacun sa vocation et les ouailles vivront en paix. Monseigneur présenta donc sa candidature à la piquouze.


Les partis politiques – entendons, les trois principaux – se mirent en lice et estimèrent que leurs metua [6] respectifs avaient de tels mérites, reconnus depuis déjà quarante ans au moins, qu’il fallait les garder le plus longtemps possible. Naturellement, le chef du parti au pouvoir fut désigné. Son dauphin, de toute façon, n’avait pas l’âge requis. Certes, certains osèrent opposer le fait que le statut n’autorisait pas plus de deux mandats, mais les juristes balayèrent l’argument : de multiples interprétations de la loi statutaire étaient possibles et le spécialiste de droit, qui avait déjà servi les précédents présidents du pays, se faisait fort de trouver la parade.


[6]Metua ou père (de la nation) avec un sens quasi spirituel. Titre accordé à ceux qui, selon leurs partisans, auraient sagement conduit les Polynésiens, politiquement et spirituellement.


Le parti du plus vieux chef tangua un peu. L’homme de paille qui avait conduit la liste du parti aux dernières élections en raison de la « maladie » temporaire d’Aston Flouze, le « Vieux léopard », comme on l’appelait, avait osé penser que la piqûre devait lui être réservée. Il fut exclu du parti (mais réintégré après sa demande solennelle de pardon). Le « Vieux léopard » fut donc retenu.


Dans le parti sécessionniste, on estima que le leader Oscaro Poincom étant, de fait, leader à vie, mieux valait le désigner, lui. Du reste, les brillants esprits, qui composaient le comité directeur du parti étaient trop jeunes et les compagnons de route du metua depuis 1977, étaient si fatigués que les prolonger ne servirait à rien. Le « Vieux », comme on l’appelait familièrement, déposa sa candidature en précisant qu’en fin de compte, ce serait la volonté de Dieu le Père qui s’exprimerait dans les urnes.


Du côté de l’Église protestante ma’ohi (l’EPM), la gêne était visible. Certes, les protestants recevaient généralement avec bienveillance les découvertes scientifiques. L’affaire Michel Servet[7] était bien loin, en temps et en distance. Cette fois cependant, le Synode convoqué en urgence s’interrogea sur le risque d’une offense au Créateur. Te Atua n’aurait-il pas bien conçu l’homme et la femme ? Ceux-ci seraient-ils des « créatures incomplètes » comme l’écrivait Pierre Loti ? Un théologien prétendit que le chrétien devait tout attendre de Dieu et non des médecins, mais le synode ne le suivit pas sur ce point, plusieurs enfants de pasteurs étant inscrits à l’UPF en première année de médecine. Non, ce qui embarrassa le Synode ce fut le risque d’orgueil chez ceux que le suffrage universel aurait désigné. Déjà l’EPM s’inquiétait du comportement des élus actuels qui n’ignoraient pourtant pas – encore que ! – que leur temps était compté. Comme il était à peu près établi que ce seraient les trois chefs de partis qui seraient désignés, vu la force des réseaux de clientèles, il y avait lieu que l’EPM fût une sentinelle vigilante du peuple ma’ohi et donc, prît une initiative. Un représentant des Marquises, où les protestants étaient très minoritaires, suggéra qu’un pasteur se portât candidat. Proposition rejetée à l’unanimité. Le synode rechercha le consensus consubstantiel à l’institution. L’un donna son avis, un autre compléta cet avis, puis chacun avança d’un petit pas supplémentaire. En gros, cela partit de l’idée initiale que l’EPM ne pouvait pas adopter la même position que les autres confessions du pays. Quatre intervenants plus tard, il fut admis de tempérer l’enthousiasme pour le vote. Cinq intervenants plus loin, le synode était prêt à admettre que la position de l’EPM devait être originale et donner la priorité à la puissance de Dieu plutôt qu’à celle des hommes. L’avant-dernier intervenant, en accord avec tout ce qui précédait, fit valoir qu’il ne fallait pas adorer le veau d’or. Le dernier orateur, un pasteur respecté et réputé sage, apporta sa pierre à l’édifice spirituel : « L’EPM ne peut accepter que les hommes se mêlent du plan de Dieu et doit prôner aux fidèles de rester à l’écart de toute démarche qui tenterait de rendre l’homme plus orgueilleux encore ». À l’unanimité, donc, l’EPM recommanda l’abstention, une abstention active. On jeûnerait dans les temples pendant les heures d’ouverture du scrutin, décision approuvée par le Conseil de l’Ordre des médecins qui estimait que l’embonpoint était trop fréquent chez les protestants ma’ohi ou les Ma’ohi protestants.


[7] Savant du XVIe siècle qui découvrit la circulation sanguine. Il niait l’existence de la Trinité et contestait la divinité de Jésus. Réfugié à Genève, il fut brûlé après un procès dans lequel Calvin l’accabla.


Mars 2020. La campagne électorale dura trois semaines. Des médias du monde entier affluèrent à Tahiti. Heureusement qu’existaient des plates-formes du style Heberger.com, car l’événement souligna à quel point le pays était sous-équipé en matière d’accueil des visiteurs. Deux stades furent réquisitionnés pour qu’on y dressât des tentes, des points d’eau et des toilettes mobiles.


Chaque candidat avait droit à trente minutes d’argumentation sur les chaines de télévision, sans compter les débats. La presse écrite, devenue quasi inexistante, devait aussi compter les signes et les espaces des interviews pour respecter l’égalité entre les candidats.


En raison de la multitude de journalistes, il était à peu près certain qu’aucune fraude ne serait possible. Néanmoins Oscaro Poincom exigea la venue de représentants de l’ONU, du Comité de décolonisation en particulier. Le Secrétaire général des Nations unies estima que si contrôle il devait y avoir, ce serait plutôt celui de l’Organisation mondiale de la santé (l’OMS) qui devrait s’assurer que les injections se feraient selon les règles de l’asepsie. Seule concession au sécessionniste, le Secrétaire général délégua sur place un médecin cubain.


La règle était simple, mais adoptée par l’Assemblée de la Polynésie française après six jours de débats : il n’y aurait qu’un tour et seuls les trois candidats arrivés en tête pourraient exposer leurs fesses au médecin désigné par l’Ordre afin d’éviter tout désordre. Un ecclésiastique vérifierait que l’exposition resterait dans les limites de la décence.


Des polémiques faillirent tout arrêter. Comment pourrait-on être sûr que le produit injecté serait bien celui inventé par le professeur Levieupanez ? Parmi le personnel amené à procéder à la piqûre, quelqu’un ne pourrait-il pas être tenté de s’injecter clandestinement tout ou partie du produit ? Il fut donc décidé que le personnel médical ne pourrait pas dépasser vingt-neuf ans car, à cet âge, la médication ne présentait qu’un intérêt relatif et pouvait éventuellement engendrer des effets secondaires.


Les sécessionnistes firent campagne sur le thème que dans un pays toujours colonisé par une puissance étrangère, l’occasion serait trop belle de truquer les élections de façon à éliminer prochainement leur leader de la vie politique, ce qu’elle n’avait jamais réussi jusque-là, tandis que tout serait mis en œuvre pour qu’Anouar Fichtre conservât le pouvoir et collaborât longtemps avec le pouvoir central dans sa stratégie dite Indo-Pacifique qui avait besoin de bases territoriales, dans tous les océans, pour contrecarrer les routes de la soie chinoises. Certains journalistes écrivaient « les routes de la soie chinoise », ce dernier adjectif qualifiant la soie et non les routes. Bien sûr, les politologues de l’Université locale firent valoir que si, sur lesdites routes, ne circulait que la soie, l’Indo-Pacifique n’aurait pas grand-chose à contenir, les conteneurs transportant la soie étant légers et rares.


Aston Flouze fit campagne… Le lecteur notera la différence avec le parti précédent (« les sécessionnistes firent campagne »). Oui, seul le leader fit campagne, terrorisé qu’il était qu’un membre (ou une membre) de son parti n’en vînt à l’éclipser ou à apparaître comme un possible futur leader. La répétition à l’infini de deux ou trois arguments était-elle la conséquence d’une absence de programme ou d’absences dues à l’âge ? Ses adversaires mirent en avant l’inutilité de prolonger l’existence de quelqu’un qui n’appartenait déjà plus à un monde qu’il ne comprenait plus, même s’il n’était pas aussi diminué que son ami Jack. Jack Quiraque évidemment.


Anouar Fichtre se montrait sous un physique avantageux par rapport aux concurrents susceptibles de lui nuire. Pour lui, l’opération serait double. Les Polynésiens devaient, par leur vote, manifester leur attachement à sa personne et, en même temps – expression qu’il avait acquise aux contacts fréquents avec Emmanuel Macron – plébisciter sa gouvernance. La baisse récente des taxes sur les pesticides lui avait valu un regain de popularité dans les îles, bien que quelques dizaines de lycéens entre quatorze et dix-sept ans aient défilé dans les rues de Papeete pour dénoncer la mesure.


La campagne suscita de nombreuses réactions et, apparemment, un intérêt évident. Les sondeurs – entendons par là ceux qui, à Tahiti, prennent leurs rêves pour des réalités – avançaient que pour la première fois depuis longtemps, l’électorat se mobiliserait. Ils n’avaient pas tout-à-fait tort si on exceptait les moins de trente ans, les personnes âgées furieuses d’être passées si près d’une inespérée prolongation, les protestants les plus fidèles à leur culte, les surfeurs, les militants politiques de cinquante ans qui se voyaient déjà en haut des tracts et des bulletins de vote et qui comprenaient, qu’au mieux, ce serait le nom de leurs enfants qui figurerait un jour à cette place et enfin les féministes qui décidèrent de boycotter l’élection puisqu’aucune femme n’avait été retenue par les partis. Le journal gratuit avait titré qu’« Aucune femme n’avait été retenue par les parties ».


Les débats télévisés sur Polynésie la Première et sur TNTV furent moins suivis que prévu, car ils entraient en concurrence avec des séries populaires sur les autres chaînes. Le jour du vote, les abords des bureaux de vote étaient tapissés de portraits sur lesquels les retoucheurs (ou retoucheuses) avaient beaucoup travaillé. Les militants agitaient des drapeaux aux couleurs de leur parti. Des processions clairsemées démarrèrent de chaque paroisse catholique pour atteindre le bureau de vote le plus proche en hissant un immense portrait de Monseigneur, suivi par des fidèles portant de non moins grandes bougies que le vent soufflait sans cesse. À Arue, l’une d’elles mit le feu au portrait de Monseigneur, en partie épargné grâce à l’intervention rapide de la brigade des pompiers de Mahina.


Le beau temps ne favorisa pas la mobilisation des électeurs enclins à se vautrer sur les plages en essayant de traduire en reo ma’ohi la célèbre expression latine Carpe diem.


La participation dépassa à peine les 50% mais, comme prévu, les trois personnalités appelées à recevoir la médication furent les dirigeants des partis. Sans surprise Anouar Fichtre arriva en tête avec 45% des suffrages, ayant quelque peu souffert de la candidature de Monseigneur qui « gela» quelque 3 687 voix dont la plupart émanaient des urnes marquisiennes. Assez loin derrière le président, on trouva presque ex-aequo Aston Flouze et Oscaro Poincom. Aux élections de 2018, le premier, à force d’attaquer la France, avait attiré à lui des voix qui se portaient naguère sur le parti sécessionniste. Là en 2020, ses diatribes contre la République finirent par convaincre des militants autonomistes qu’il n’y avait plus de honte à voter pour Oscaro Poincom.

31 mars 2020. L’ordre des médecins obtint que la cérémonie de l’injection des doses se tiendrait à huis-clos et les trois bénéficiaires furent soulagés de ce que la presse serait dans l’impossibilité de les photographier postérieurement. La crise du Covid commençait à peine et il est possible que la peur de la contamination par respiration anale fût à l’origine de la distanciation des élus à piqûre. Ce jour-là, toute personne entrant à l’hôpital fut tenue de laisser à l’entrée appareils photos et téléphones portables. La police procéda à des fouilles minutieuses de tout le personnel qui participait aux injections, avec des palpations qui créèrent quelque malaise. La journaliste Mitou s’en fit l’écho.


Certes, à la sortie, les flashes crépitèrent et chacun voulut posséder des clichés des trois bénéficiaires, avec cette assurance que les photos seraient des documents extraordinaires : des photos qu’on n’aurait plus besoin de prendre pendant un demi-siècle au moins puisque les piqués ridés ne prendraient plus une ride.


Le politologue de l’Université, Samir Amiss[8], fut l’invité des journaux télévisés et des émissions de radio. Douze fois au moins lui fut posée la question : « La vie politique du pays va-t-elle se figer autour des trois leaders traditionnels ? ». Le politologue faisait la moue, hésitait (à la télé, il levait les yeux vers le ciel) puis lâchait : « Je le crains ». Les interviewers insistaient : « mais enfin, le monde va changer et des jeunes voudront apporter leur savoir-faire et leurs idées pour moderniser le pays ! ». Nouvelle moue et expression dubitative, puis : « compte tenu de la structure des grands partis et de la quasi-dévotion des militants envers leurs dirigeants, il faudra deux générations avant qu’émergent de nouveaux leaders ». « N’y aura-t-il pas des tentatives de putsch ou des scissions qui relègueront les trois dirigeants actuels aux oubliettes ? ». Cette fois, la réponse ne se fit pas attendre : « Bien sûr que oui, mais tout laisse penser au regard de l’histoire du Fenua que putsch et scissions seront voués à l’échec ». Un journaliste apporta la contradiction : « et l’exemple d’Anouar Fichtre qui devint calife à la place du calife ? ». Le politologue respira profondément : « Vous avez raison mais la conjonction d’événements exceptionnels comme en 2014 a peu de chances de se reproduire ». Il ajouta : « par exemple, imaginez une jeune femme intelligente qui aurait beaucoup lu, beaucoup réfléchi, qui aurait développé des idées novatrices pour sortir le pays du marasme… vous la faites entrer au parti du Vieux léopard, le lendemain, elle devient une apparatchika, un simple rouage répétant ce que le leader aurait proclamé deux jours auparavant ». Le journaliste semblait mécontent des réponses, lui qui était un sympathisant du Vieux léopard : « Si les trois leaders continuent à s’imposer encore cinquante ans, il y aura bien des jeunes qui créeront de nouveaux partis politiques et dégageront les vieilles structures ! ». Le politologue convint que cela arrivera certainement un jour ou l’autre, mais réitéra son analyse que les mœurs politiques traditionnelles resteront longtemps ancrées chez les Polynésiens et il acheva son propos en déplorant que, si le monde changerait de plus en plus vite, la Polynésie prendrait un retard considérable. Samir Amiss s’inquiéta aussi d’une évolution qui sortirait la Polynésie d’un système démocratique déjà contestable par la puissance des réseaux de clientèles. Il prédit que bientôt on entrerait en gérontocratie[9], rapidement suivie d’une nécrocratie dans laquelle des chefs, déjà morts, au moins intellectuellement, continueraient à gouverner. « Enfin, dit-il, habituellement, quand je me hasarde à lancer des prévisions, je dois faire très attention parce que deux ou trois ans plus tard vous pourriez souligner avec délectation que je me suis égaré ». Comme on le taquina sur cette espèce de pessimisme qui contrastait avec l’enthousiasme qui le caractérisait, il avoua : « dans ces circonstances nouvelles, je peux raconter n’importe quoi, dans trente ou quarante ans je ne serai plus là et hélas ! vous non plus ! ».


[8] Vraisemblablement descendant de la célèbre reine Sémiramis qui fit édifier les jardins suspendus de Babylone considérés comme l’une des sept merveilles du monde antique.

[9] Système politique dans lequel des vieillards se maintiennent au pouvoir comme ce fut le cas, par exemple, au Zimbabwe avec Robert Mugabe.


Trois ru’au[10] en quête de gloire


Mai 2023. Est-ce que les piqûres figeraient la vie politique locale ? De fait, les élections dites territoriales pour renouveler les représentants à l’assemblée n’apportèrent guère de changement. Certes, le président sortant perdit quelques points, mais le système électoral accordant une forte prime à la liste arrivée en tête lui permit une réélection facile et rendue possible après une question prioritaire de constitutionnalité qui invalida la disposition limitant les mandats à deux, au nom du respect de l’autonomie et de la spécialité législative. Le Vieux léopard redevenu éligible en 2021, perdit à nouveaux ses droits civiques suite à une condamnation dans une affaire de trafic de tortues. Les atteintes à la biodiversité constituaient désormais des fautes plus graves encore que les antiques détournements de fonds publics. En mettant en avant une jeune femme de paille, Aston Flouze mit en péril le couple qu’il avait constitué quinze ans plus tôt. La jeune femme attira des suffrages masculins venus de tous horizons, mais sans parvenir à contenir l’érosion manifeste d’un parti qui ne se distinguait plus vraiment du parti sécessionniste, sauf qu’il prônait désormais l’extinction du paupérisme[11] en prétendant attirer les capitaux chinois. Oscaro eut une idée géniale quelques semaines avant les élections : pour réduire les embouteillages gigantesques qui pourrissaient la vie des Tahitiens, il suggéra que seules les automobiles avec des immatriculations paires pourraient rouler les jours impairs et vice-versa. Il estimait que cela produirait une révolution sociétale. Désormais, la moitié de la population serait contrainte de solliciter l’autre moitié pour du co-voiturage. De nouvelles relations s’établiraient entre ma’ohi qui se parlaient de moins en moins. De substantielles économies seraient réalisées par tout le monde finalement. Les enfants des familles sous le seuil de pauvreté pourraient enfin manger à leur faim. Les ménages connaîtraient une plus grande sérénité et les violences conjugales déclineraient du même coup… si on pouvait dire ! Le parti majoritaire fit valoir que, certes, sur les plans économique et environnemental, l’idée pouvait être considérée favorablement, mais que sur le plan conjugal, on ne ferait que compliquer les relations matrimoniales en raison des occasions de rencontre que le co-voiturage encouragerait. La proposition ne profita qu’à la marge au parti sécessionniste, les lobbies de l’automobile ayant mené une rude campagne contre cette idée qui ralentirait le remplacement des véhicules, sans avancer bien sûr cette crainte, mais en mettant en avant qu’on ne pouvait pas abandonner sa sécurité entre les mains de n’importe quel conducteur. L’Association de défense des automobilistes souligna que les propriétaires de véhicules à immatriculation paire seraient désavantagés chaque fois qu’un mois aurait 31 jours puisque se succéderaient les 31 et 1er, soit sept fois par an et même huit fois les années bissextiles.


[10] Vieillards.

[11] Allusion à un essai publié par le futur Napoléon III tandis qu’il était prisonnier au fort de Ham dans la Somme. Tous les politiciens qui se veulent des hommes forts et autoritaires, essaient de conquérir le pouvoir en annonçant un programme qu’ils ne réaliseront en fait jamais. Le Christ n’avait-il pas prévenu : « vous aurez toujours des pauvres avec vous » ?


Le Vieux léopard et le Vieux tout court avaient laissé entendre, sans le dire explicitement, mais en entretenant le flou, qu’à l’assemblée les élus de leurs partis pourraient s’entendre et constituer une majorité, surtout si à eux deux ils obtenaient un peu plus de voix que le parti de Fichtre. Les membres de leurs partis qui étaient passés par l’Université - et avaient suivi quelques cours du politologue - mirent en évidence qu’il suffisait de lire la loi électorale pour admettre que l’arithmétique ne le permettrait pas, le parti du président Fichtre aurait une large majorité à l’assemblée grâce à la loi électorale qui lui accordait une prime substantielle. « Ah bon ! » s’étonnèrent les deux vieux chefs de partis.


La campagne avait été marquée par deux débats. Le premier portait sur le développement du tourisme qui n’était pas négligeable puisqu’on avait atteint presque 223 000 visiteurs en 2023, quand la pandémie s’éloigna, mais si la progression se confirmait, comment résoudrait-on le grave problème de la circulation ? Á quelle heure les touristes devraient-ils se lever s’il fallait à leur bus ou leur taxi quatre-vingt-dix minutes pour parcourir les 2 300 mètres qui séparaient leur hôtel de l’aéroport international ? Le deuxième grand débat ne fit que prolonger ce qu’on avait entendu en 2013 et 2018 : quand commenceront les travaux de reconversion de l’atoll de Hao ? Les Chinois se lassaient des refus successifs des permis de construire de la part des services de l’Équipement et des manifestations des écologistes qui auraient souhaité qu’on fît de l’atoll une réserve pour les papillons menacés d’extinction dans les autres îles.


Bref, les électeurs se prononcèrent selon les schémas traditionnels, plus ou moins idéologiques pour certains, selon leur intérêt immédiat tiré par leur relation de proximité avec telle ou telle personnalité. La plupart du temps, les tavana entraînaient les habitants de leur commune à suivre leur propre choix. S’il arrivait que d’une élection à l’autre le tavana changeât de camp, un autre migrait inversement. L’arithmétique électorale variait peu.


La mandature 2023-2028 fut marquée par un renouvellement des élus. Ceux de 2023 vieillissaient et, soit la maladie, soit la mort poussèrent à l’assemblée quinze suivants de liste. Cependant, les trois leaders ayant bénéficié des doses du professeur Levieupanez semblaient insolents de majesté, d’une majesté qu’ils savaient durable.


Les services de l’Équipement procédèrent à de grands travaux pour diminuer les embouteillages. Les pelleteuses et autres engins rendirent infernale la vie des automobilistes pendant quatre ans. Quelques semaines avant les élections, les inaugurations de nouveaux tronçons, ronds-points, tunnels et passerelles battirent leur plein et la fierté du président Fichtre était bien visible. En quatre ans, la population avait augmenté de 16 000 personnes et les automobiles étaient plus nombreuses en proportion, plus longues aussi que cinq ans auparavant. Le lendemain des inaugurations, les Tahitiens se retrouvèrent dans la même situation que début 2024. De nouveaux câbles relièrent le pays au reste du monde. La compagnie aérienne locale testa un avion solaire et en acheta un pour la liaison avec Auckland. Un Airbus parvenait maintenant à relier Papeete et Paris sans escale et sans survoler les États-Unis, ce qui raccourcit le voyage de cinq heures (trois heures d’escale en moins et performances de l’appareil). Une compagnie low cost proposa un vol Papeete-Paris avec escale à Québec pour 85 000 francs[12] aller et retour. Des paquebots de croisière gigantesques amenèrent douze mille touristes en même temps, ce qui provoqua des embouteillages monstres sur le front de mer, mais ce n’était que deux ou trois fois par an au lieu des passages mensuels qui étaient à chaque fois d’incroyables galères. Grâce à des aliments proposés par quintaux, dans de nouveaux emballages biodégradables assurant une très longue conservation, les prix chutèrent et les Polynésiens vivant sous le seuil de pauvreté ne faisaient plus de peine à regarder. Le pays s’enorgueillit que, sur les cinq ans de la mandature, trois misses Tahiti fussent élues miss France ou miss Monde. Les tatoueurs marquisiens ouvraient des ateliers dans le monde entier et, bientôt, il y eut davantage de Marquisiens hors de Polynésie qu’aux Marquises mêmes. Les sommes gagnées et en partie reversées aux familles restées au Fenua Enata[13] apportèrent une certaine prospérité dans l’archipel. Ces retombées ajoutées aux aides financières du fonds onusien appelé Programme des Nations unies pour le développement rassurèrent le ministre de l’économie et des finances. Le gouvernement calma donc les colères sociales par l’embauche de fonctionnaires qui, pour justifier leur emploi, édifièrent une bureaucratie telle qu’il fallût embaucher une pléiade de juristes pour qu’ils tentassent d’interpréter la réglementation. Les professeurs de droit de l’Université ne firent bien sûr rien pour enrayer le système qui assurait de belles années à leur département. Ils retirèrent des programmes l’étude du modèle MIRAB[14] de peur qu’un esprit chagrin en contestât les bienfaits. Les ouvrages du collègue qui avait eu cette audace, trente ans plus tôt, furent retirés du centre de documentation et son nom disparut des bibliographies.


[12] Soit près de 715 euros.

[13] Autre nom des Marquises. On dit aussi Henua Enana.


Bref, c’était le changement dans la continuité.


Continuité qui se confirma après les élections de 2028, 2033 et même de 2038. Le président Fichtre, toujours pimpant, avec juste quelques poignées d’amour en plus, était réélu. Aston Flouze restait empêtré dans les ennuis judiciaires et les brillantes plaidoiries du fils du célèbre Maître Unkiss ne suffirent pas. Les procureurs se succédaient, mais recevaient du parquet les mêmes instructions.


Le président Fichtre était obligé de renouveler ses ministres atteints par d’imparables « vieillesses ennemies ». Il ne trouvait toujours pas de vice-président durable après l’éviction de celui dont le mariage entraîna son divorce politique. Ses ministres de l’économie se fatiguaient vite en affrontant les blocages du développement venus de toutes parts. L’économiste de l’Université qui soutenait sa politique pro-business avait cessé d’écrire dans un magazine local, financé par le lobby des planteurs de noni.


En novembre, chaque année, le président Fichtre et Oscaro Poincom se rendaient à la Quatrième Commission de l’ONU, le second pour accuser la France et son complice local de maintenir un système colonial en Polynésie et de ne pas reconnaître que les essais nucléaires avaient été un crime contre l’humanité, tandis que le premier répliquait que l’autonomie était telle que la France n’avait plus aucune responsabilité dans ce qui n’allait pas. « Si les sécessionnistes veulent réformer le pays selon leurs désirs, il suffit qu’ils gagnent les élections » lançait-il sempiternellement.


Les élections de 2043 s’annoncèrent dans un climat plus délétère que les précédentes. Les grands problèmes n’étaient toujours pas résolus. Le chantier de Hao attendait encore le premier coup de pioche. Sur les routes ne circulaient plus que des voitures électriques à l’exception de quelques vieux modèles hybrides qui ne trouveraient bientôt plus de stations d’essence. D’immenses 4X4 avançaient sans aucun bruit. La climatisation devenait moins nécessaire puisqu’on pouvait ouvrir les vitres sans respirer des particules dites fines. Le progrès était énorme sur le plan environnemental et sur le plan médical (moins de bruit et moins de pollution). La balance commerciale se rééquilibrait un peu, maintenant que l’énergie solaire rechargeait les batteries des automobiles.


Pourtant, les routes étaient toujours aussi encombrées et la montée du niveau marin faisait que, sur les côtes, de gigantesques vagues envahissaient régulièrement les chaussées et agaçaient les carrosseries et les sophistiqués systèmes électroniques. Les premières voitures sans chauffeur roulaient déjà et ne causaient pas davantage d’accidents que celles avec chauffeurs. Il est vrai qu’avec l’augmentation du nombre de véhicules immatriculés, la circulation et l’état des routes souvent submergées, de fait la vitesse était limitée – dans les meilleures conditions – à 40 km/h. Cela peut paraître étonnant, mais ces voitures sans chauffeur creusèrent un peu plus les inégalités entre Polynésiens. Les heureux propriétaires pouvaient travailler sur leur ordinateur avec écran géant pendant le temps passé sur la route. Les patrons diminuèrent d’une heure trente-sept minutes, pour ces employés-là, la durée de leur présence dans les bureaux. Les travailleurs manuels, eux, oeuvraient de fait trois à quatre heures de plus qu’une décennie antérieure et leur temps de sommeil diminuait chaque année. Quant au labeur au « domicile » itinérant, il était peut-être la première étape vers le télé-travail déjà développé partout ailleurs, car au Fenua les patrons popa’a craignaient que cette nouvelle forme d’activité entraînât une baisse de la productivité qui, à son tour, provoquerait une hausse des prix de revient, donc une baisse de la compétitivité dont l’économie de la Polynésie souffrirait. Il est vrai que dans la fonction publique, le télé-travail s’était développé puisque les notions de productivité et de rentabilité n’y avaient guère de sens. Le ministre de la fonction publique avait même trouvé une parade au coût prohibitif de la machine administrative. En effet, s’il recruta quelques milliers de fonctionnaires, il n’eût pas à agrandir les locaux ou à acheter un nombre d’ordinateurs correspondant. Désormais, les fonctionnaires viendraient au bureau un jour sur deux et une bonne organisation permit le roulement entre les équipes. Certains syndicats provoquèrent des grèves pour que les jours de présence fussent mieux définis et, en particulier, pour que le lundi ne revînt pas trop souvent comme jour de présence obligatoire in situ.


D’autres réussites marquèrent les années trente du siècle. Un chercheur de l’IRD avait trouvé des propriétés curatives au miconia. L’ex-peste végétale était désormais soigneusement entretenue sur les pentes de la presqu’île de Tahiti et dans les îles hautes qui, jusque-là, se dépeuplaient. Des centaines de tonnes de plants compactés partaient pour les États-Unis, la Chine et le Japon dont les habitants espéraient supprimer ainsi arthrose et foie gras. De plus, pour soulager les ultra-vieillards devenus si nombreux de leurs maux divers et variés - car, si la médecine avait fait progresser l’espérance de vie, elle s’était peu souciée de la désespérance des centenaires - le développement de l’utilisation du cannabis à des fins médicales avait ouvert des perspectives au pakalolo. Les efforts du député en lava-lava avaient porté ses fruits. Cette variété locale de cannabis fut l’objet d’un engouement qui ne se démentait pas. Les plus pauvres des Polynésiens trouvaient ainsi quelques ressources pourvu qu’ils disposassent de quelques mètres carrés de terrain ou d’un appui de fenêtres pour y installer quelques pots.


- Tahiti-Infos fait sa « une » sur le projet de Village Tahitien (31 janvier 2018). Un projet que Maeva qualifie de Rikiki Beach. Du reste, le 22 septembre 2021, le quotidien indique que « la procédure d’appel à manifestation d’intérêts pour les six premiers lots a été déclarée infructueuse en toute discrétion ». Place désormais au Hameau Tahitien !


Parmi les réussites dont le gouvernement se targuait, il y avait eu, en 2041, l’inauguration du Hameau tahitien censé répondre à la croissance du tourisme et aux vœux des opérateurs du monde entier. Ce projet, lancé vingt-sept ans plus tôt par le Vieux léopard, avait connu bien des vicissitudes. Alors que le pays attendait tout des investissements chinois ou émirati, un gigantesque plan – baptisé Waikiki nui - devait permettre d’accueillir quatre cent mille touristes supplémentaires, ce qui rendrait le pays autonome financièrement[14] . Quand les investisseurs constatèrent que l’emplacement n’était pas idéal (en bout de piste de l’aéroport, entre un énorme supermarché et une route à six voies encombrée vingt-quatre heures sur vingt-quatre), qu’il serait probablement atteint par la montée des eaux dans quinze ou vingt ans, les capitaux promis migrèrent vers d’autres destinations. Quand Anouar Fichtre arriva au pouvoir, il fit concevoir un nouveau projet, raisonnable celui-là et plus modestement baptisé « Village tahitien ». Peu à peu, cependant, des problèmes entravèrent les espérances. Les marchés asiatiques - pour lesquels les plans avaient été tirés – s’avéraient rétifs. Le Fenua était trop cher, trop lointain, trop peu sensible aux attentes de la clientèle. L’emplacement se révélait en effet peu intéressant, sauf comme solution d’attente avant de partir vers les îles moins peuplées et moins polluées. Juste une nuit, quoi ! Les écologistes ne facilitaient pas la tâche du gouvernement et les sécessionnistes non plus. Les uns et les autres mettaient en avant qui la biodiversité menacée – la végétation qui était née sur ce lieu où pendant trente ans s’étaient accumulés des dépôts sauvages des particuliers et du supermarché – qui la valeur culturelle de ce lieu où, avant l’arrivée des Européens, on sacrifiait les ennemis capturés lors des guerres claniques, qui la possibilité d’y installer une gigantesque centrale solaire. Bref, ajoutons la perspective de l’élévation du niveau marin déjà évoquée et on aura compris le cheminement chaotique du projet. En 2041, donc, sur un promontoire artificiel, fut inauguré le « Hameau », un hôtel de style local – Oscaro Poincom avait accepté que l’esprit dans lequel il avait fait édifier jadis sa mairie servit d’exemple[15] - avec vingt-quatre chambres, un restaurant, plutôt un snack, sur pilotis en bordure de mer. Un mini-téléphérique le reliait à l’hôtel ou à un parking pour les Polynésiens qui souhaitaient déjeuner. Les enfants appréciaient ce moyen de déplacement. La première pierre d’un futur centre de rencontres (conférences, expositions, concerts privés) fut scellée mais, dès le lendemain, les politiques, les journalistes et les « j’ai mon avis sur la question » se déchirèrent. Devait-il y avoir deux cents places assises ou seulement cent-vingt ? La presse évoqua le projet du Rikiki Beach.


[14] Deux économistes néo-zélandais avaient défini le mode de développement de certaines îles océaniennes. MIRAB était la contraction de MI = migrations vers les pays riches, R venait d’un mot anglais définissant l’envoi de mandats aux familles restées dans les îles, A était l’initiale du mot aide, celle qui était accordée par de grandes puissances ou par des organisations internationales et B indiquait que, grâce à ces fonds, il était possible de créer et d’entretenir une bureaucratie énorme pourvoyeuse d’emplois. Le système s’autoalimentait, mais restait à la merci de l’aide internationale ou du plein emploi dans les pays d’accueil.

[15] En fait, il fallut travailler sur documents car la mairie s’était affaissée avec l’âge et les débris dispersés lors d’un cyclone ravageur. Les bureaux de la mairie avaient été déplacés dans des containers aménagés en style local.


- Tahiti-Infos fait sa « une » sur le projet Tahiti Manaha Beach (4 juillet 2013). Un projet mirifique que Maeva qualifie de Wakiki Beach en référence à Hononlulu

 

Comme il avait été suggéré plus haut que la campagne électorale de 2043 commençait à révéler des tensions plus fortes que d’habitude, des faits marquants – autres que ceux évoqués – secouèrent le landernau politique.


Après plusieurs décennies de recours en justice, de décisions annulées et d’annulations des annulations, Oscaro Poincom avait tout lieu de se réjouir : l’aéroport de Faa’a devenait propriété de la commune. Las ! la montée des eaux océaniques avait rendu les pistes de plus en plus impropres aux atterrissages ou décollages. Régulièrement, les avions étaient déroutés sur Rarotonga. L’aviation civile exigea de l’État et du pays la construction d’un nouvel aéroport. Le seul endroit possible était le golf d’Atimaono qui fut investi par les engins de chantier. Les travaux furent considérables car il fallut prévoir les évolutions sur le siècle à venir et donc, remblayer la plaine pour que les pistes fussent au moins trois mètres au-dessus du niveau des eaux. Du même coup, Oscaro Poincom perdait SON aéroport et son terrain de golf préféré. Le nouvel aéroport serait inauguré en 2044. Il fallut aussi fermer ou procéder à de gros travaux sur les atolls. Air Tahiti supprima de nombreux vols et le recours aux goélettes du temps jadis ramena les Tuamotu à une époque qu’on croyait révolue.

Les atolls se dépeuplaient et les Paumotu[16], au lieu de chercher refuge sur les îles hautes des îles Sous-le-Vent, des Australes ou des Marquises, vinrent s’entasser dans l’agglomération de Papeete alors que les habitations côté mer étaient progressivement abandonnées. Il fallut construire des immeubles de quinze étages sur les flancs de la montagne, percer des tunnels et former de nouvelles générations de pompiers. La coprah-culture fut progressivement délaissée[17], ce qui soulagea les finances du pays qui soutenait à coups de subventions cette activité peu rentable. Beaucoup de fermes perlières avaient été dévastées par les cyclones, les tsunamis – heureusement encore limités – et l’acidité de l’océan.


[16] Habitants des Tuamotu.

[17] Seules quelques plantations furent conservées, de quoi continuer à fabrique le célèbre monoï.


Le pays réussit mieux avec les énergies renouvelables. Toutes les automobiles électriques rechargeaient leurs batteries grâce aux installations solaires qui climatisaient également les maisons et appartements. L’éolien peinait néanmoins à se répandre autant qu’il le fallait car les écologistes s’en prenaient aux installations qui défiguraient le lagon. Le SWAC installé à l’hôpital fit l’objet de recours (rejetés), de procès pour malfaçons et scandales de corruption. La ferme aquacole de Hao fut édifiée, mais ne servit que quelques années. Désormais, partout dans le monde, les consommations de viande et de poisson s’effondrèrent au profit d’aliments nouveaux dégustés sous forme de pilules ou de barres comme les anciennes barres chocolatées.


Les Polynésiens qui voyageaient à l’étranger s’étranglaient de voir les nouveautés dont le Fenua était privé, faute de responsables politiques capables de saisir en temps voulu les avancées techniques. Ainsi naquit une fronde qui menaça la majorité d’Anouar Fichtre. De plus, la notion d’autonomie n’avait plus guère de sens. Le corpus juridique applicable en Polynésie ne ressemblait plus beaucoup à son équivalent métropolitain. La France ne portait plus beaucoup d’attention au Fenua depuis que les Chinois avaient pris le contrôle de l’économie française et finançaient les partis politiques, celui des Gilets jaunes en particulier. Toutefois, une femme ayant été élue présidente de la République, elle réforma la Constitution de telle sorte que, désormais, la parité s’établirait entre les deux têtes de l’exécutif. Selon que les Français porteraient un homme ou une femme à leur tête, à Matignon s’installerait le sexe opposé. Des controverses jaillirent pour savoir si un examen médical s’imposerait ou non pour vérifier le sexe des titulaires des postes-clés. Que se passerait-il si un transgenre était élu ? Tiendrait-on compte de la dysphorie de genre ? Curieusement, ces questions passionnèrent les Polynésiens.


La Présidente était une petite-fille de l’ancien président socialiste des années quatre-vingt. Elle était fort en peine des nouvelles qui lui parvenaient du Fenua en raison de l’attachement que son grand-père portait à ce bout de France, à laquelle la France avait lâché la bride. La cause de sa tristesse était que l’agitation sociale et politique risquait de profiter au Vieux léopard qui retrouverait son éligibilité quatre semaines avant la désignation des nouveaux conseillers de l’assemblée. Les autres procès qui lui étaient intentés étaient en cours, en appel ou en Cassation (grivèlerie, non versement des pensions alimentaires, harcèlement d’une ancienne compagne dont il avait détruit le fauteuil roulant avec menaces…). La Présidente proposa un deal à Anouar Fichtre. Ce dernier n’avait pas pu s’opposer aux réformes du début des années vingt qui avaient ramené le nombre de députés polynésiens à deux et celui des sénateurs à un seul. Il avait, par contre, résisté aux projets de ramener le nombre de conseillers de l’assemblée locale de 57 à 41. L’argument qu’il avait opposé troubla le législateur français. Anouar Fichtre expliqua qu’il y avait une tradition syndicale polynésienne qui voulait que lorsqu’on était 57 pour effectuer un travail nécessitant 31 personnes, il fallait exiger qu’on fût 73. Après une étude approfondie des services juridiques de l’État qui eurent quelque mal à débrouiller l’écheveau des domaines de compétences entrelacées, qui se penchèrent sur la validité d’un droit coutumier oral par rapport au droit écrit latin, la Commission des lois de l’Assemblée nationale décida de la création d’une commission spéciale présidée par un célèbre député mathématicien, désormais assagi et vêtu comme tout le monde. Celui-ci devait se pencher sur ce qui pouvait advenir d’une soustraction soumise à la force de Coriolis et trouver la formule mathématique qui correspondrait aux pratiques syndicales des antipodes. Le député se procura un tableau d’une surface suffisamment grande pour qu’il contînt la formule à laquelle il avait abouti. Aucun membre de la commission n’ayant compris la démonstration, il fallut bien renvoyer la décision à des temps meilleurs au cours desquels à nouveau 2 + 2 feraient quatre. Vingt ans plus tard la Présidente de la République proposa à son homologue polynésien (ils étaient désormais sur un quasi-pied d’égalité, sauf qu’in fine, la France prenait les décisions, ce qui avait le don d’agacer les sécessionnistes), proposa donc d’avancer les élections de deux mois, ce qui serait rendu possible si le statut était modifié conséquemment. En premier lieu, la réforme métropolitaine s’appliquerait : si le président du pays était un homme, la vice-présidence serait occupée par une femme ou vice-versa. Ensuite, le nombre de représentants étant réduit à 41, il y aurait lieu de restructurer les circonscriptions et de modifier la loi électorale. La profondeur de ces changements appellerait une consultation immédiate des électeurs. Le tour était joué, sauf que les réactions ne se firent pas attendre.


Du côté du Vieux léopard on s’étrangla à qui mieux-mieux. Lui-même, rouge de colère, flanqué de son avocat qui ne le quittait plus d’une semelle, il s’emporta devant les micros et traita Anouar Frichte de Hoo Ai’a[18], une formule jadis utilisée par Oscaro Poincom. Ce dernier se contenta de hausser les épaules et de lâcher : « depuis que je vous répète que nous ne sommes pas maîtres chez nous ».


[18] Vendeur de patrie.


Ce qui inquiéta le président, ce fut la fronde qui se levait au sein de son propre parti. Son dernier vice-président, encore fringant septuagénaire – il avait profité à fond des progrès de la médecine, malgré une incroyable charge de travail – n’accepta pas d’être évincé au profit d’une femme. Il confia aux médias qu’il cherchait d’ailleurs vainement laquelle des dames de son entourage aurait la capacité à exercer ses fonctions. Cela lui valut une volée de purau[19] de la part de l’amicale des anciennes misses et des associations sororistes[20].


[19] Bois très commun et sans valeur.

[20] Le mot, d’abord néologisme, fut reconnu par l’Académie française en 2030. Il caractérise les associations de femmes qui prônent la solidarité entre elles, sur le modèle des fraternités masculines.


Le vice-président mettrait-il sur pied un nouveau parti composé de tous ses obligés ? La rumeur alla de média en média, de loge en loge, de snack en snack et de dîner en ville à dîner en ville.


C’est alors que l’orage éclata.


Les faits placebo


Au début de l’année 2043, un ancien professeur de l’Université s’éteignit. Son compagnon transféra à la Bibliothèque l’essentiel des livres du défunt, mit de l’ordre dans ses archives, en brûla beaucoup et nettoya l’ordinateur. De nature assez exclusive, il voulut savoir qu’elles avaient été les relations de l’enseignant avant qu’il l’ait connu. Très habile en informatique, il retrouva trace de mails depuis 2008. Il sursauta quand il trouva des correspondances avec le professeur Levieupanez. Il n’en croyait pas ses yeux. Il imprima les courriers essentiels, retraça l’histoire des deux hommes et convoqua les médias.


« Mesdames et messieurs, vous avez toutes et tous apprécié les recherches de mon défunt compagnon sur la société polynésienne, admiré sa connaissance de vos langues, reconnu sa profonde humanité et attendu avec impatience les résultats des enquêtes qu’il menait ». Il observa un long silence, respira profondément et essuya une larme. Il reprit :

Ce que je dois maintenant vous rapporter vous laissera sans voix et les conséquences pour l’histoire de notre Fenua seront incalculables. Mon compagnon partageait beaucoup de points communs avec le professeur Levieupanez malgré la différence d’âge. Tous deux voulaient à toutes fins qu’on connût mieux les ressorts de la pensée polynésienne. Le gérontologue s’étonnait toujours de la façon dont les Polynésiens géraient et concevaient le temps. Mon compagnon tenta de lui livrer quelques clés, fruits de ses recherches sur l’atoll d’Ikebana qui, à l’époque, comptait douze habitants, dont trois permanents. Le docteur lui fit cette réflexion : je me demande comment les Polynésiens âgés d’environ soixante ans réagiraient si on leur apprenait brutalement que les progrès de la médecine pourraient prolonger leur existence de quarante ou cinquante ans, c’est-à-dire bien au-delà de la meilleure espérance de vie possible. Mon compagnon rétorqua que, pour rendre l’expérience éventuelle concluante, il faudrait aussi leur garantir une totale immunité par rapport aux maladies qui risquaient de les toucher prochainement. Mon compagnon développa son propos tout en fumant quelques joints partagés avec son interlocuteur, comme il avait cette habitude pour récupérer de ses épuisantes recherches. L’idée naquit alors de tenter une expérience inédite, celle d’injecter un produit censé assurer quelque quarante ou cinquante ans de survie. Elle ne pourrait pas être menée longtemps, car au premier malaise de l’un ou l’autre des cobayes, la supercherie serait éventée. Une mise en scène suffisamment soignée devait alors convaincre le public et les expérimentés de la réalité d’une heureuse survie, croyance qui devrait durer au moins quelques mois si l’affaire était bien menée. C’est ainsi que les deux comparses peaufinèrent leur plan. C’est en lisant leurs échanges de mails que je compris pourquoi, avant de s’éteindre, mon compagnon se reprochait d’être responsable de la mort du professeur Levieupanez…


L’orateur éclata en sanglots. Il devança les questions des journalistes : « que va-t-il se passer maintenant ? ».

« Dîtes-le-nous vous-même ! »

« Vous avez la preuve de ce que vous racontez ? ». Des copies des échanges de mails qui permettaient de reconstituer le canular furent remises aux participants.

« Et les collaborateurs du professeur ? Savaient-ils quelque chose ? ». Non, apparemment le gérontologue travaillait seul et prétendait qu’en fait, il avait installé un laboratoire annexe à son domicile.

« Mais, quand même ! Cela fait vingt-cinq ans que les trois ru’au n’ont pas ajouté une ride aux rides ! »

« Comment expliquez-vous que les deux plus âgés qu’on savait malades en 2018 n’ont même jamais contracté le moindre rhume ? ».


Les questions s’arrêtèrent là. Tous les présents avaient leur oreille rivée à leur téléphone (en fait leur puce dans le poignet droit) pour s’enquérir de la réaction des trois bénéficiaires de la bouillie infame qui leur avait été injectée. Il paraît que leurs entourages firent tout ce qui était en leur pouvoir pour retarder l’annonce de la nouvelle. Quand les prolongés en prirent enfin connaissance, tous trois restèrent muets, tétanisés. Les proches les alitèrent avec douceur et ne les quittèrent qu’en entendant leurs ronflements.


Le lendemain, seul Anouar Fichtre réussit à se lever et à faire quelques pas. Après tout, il n’avait que quatre-vingt-douze ans et n’avait pas trop abusé de la vie. Dans un premier temps, il se rassura: il semblait encore vaillant.


Aston Flouze avait cent-quatorze ans et Oscaro Point com serait centenaire en fin d’année. Tous deux n’avaient plus aucune force. Ils sentaient leurs dents se déchausser et leur prostate ne plus rien retenir. En fait, ils ne savaient plus qui ils étaient. L’un demanda à rencontrer le plus vite possible Jack Quiraque et l’autre Belson Landella. Leurs proches constatèrent qu’au cours de la nuit, ils avaient perdu leurs cheveux (rares, il est vrai), leurs corps s’étaient recroquevillés et leurs visages étaient ceux d’hommes de leur âge. Aston Flouze réunit encore quelques forces et s’écria : « Tout est faux ! Tout est archi faux ! ». Oscaro Poincom annonça qu’il saisirait l’ONU. Vers 15 h 45, Aston rendit l’âme. Deux heures plus tard, Oscaro Poincom demanda un verre d’eau, s’étrangla, s’étouffa et les pompiers de Faa’a ne purent le réanimer.


Tous les médias du monde firent leur une sur ce qui s’était passé. « Comment un placebo avait-il maintenu en vie et en bonne santé ces trois hommes politiques ? ». Les interviews des proches du Vieux léopard et du Vieux tout court furent surréalistes.

Un potentiel successeur qui était persuadé, depuis 2018, que seul Aston Flouze pouvait éradiquer la misère en Polynésie osa s’exprimer ainsi :

Comment Aston Flouze a-t-il pu vivre jusqu’à cent-quatorze ans ? C’est très simple. Sur le plan physique, il a mené une existence faite de discipline et d’exercices quotidiens. Quand toute la Polynésie dormait encore, lui s’exerçait dans sa salle de gym personnelle. Son alimentation contrôlée par un nutritionniste ne souffrait aucun écart. Sur le plan intellectuel, il ne s’encombrait pas de lectures inutiles. Comme il l’avait mentionné sur plusieurs chaînes de télévision et sur les réseaux sociaux, il ne lisait que la Bible et exceptionnellement quelques manuels d’hygiène mentale de vénérables lamas. La potion du professeur Levieupanez n’avait pas été nécessaire.


Côté sécessionniste, un ancien député, écrivain de talent à ses heures, exposa sa version des faits:

Oscaro Poincom a consacré sa vie à son peuple ma’ohi. Il l’a fait parce qu’il a été guidé par une force supérieure. Un peu avant 1977, l’archange Gabriel s’adressa à lui : Ton peuple est encore sous le joug colonial et c’est toi qui dois l’en délivrer. Oscaro lui répondit : Let my people go ! C’était symbolique. Oscaro savait que la traversée du désert serait longue et semée d’embûches, mais son visage irradiait dans toutes les directions car il savait que Canaan serait au bout du chemin. En 2019, Oscaro reçut une nouvelle visite de l’archange Gabriel qui lui demanda de tenir bon : Vois-tu le bout du tunnel Oscaro Poincom ? Il le voyait ce tunnel, Oscaro Poincom[21], déboucher sur un paysage idyllique avec la mer d’un côté où soufflait l’esprit et de l’autre côté trois cascades qui apportaient la vie. Tu les entreverras, Oscaro, mais tu rejoindras tes tupuna[22] juste avant que ton peuple ne se débarrasse de ses entraves. Tiens bon ! Dès lors, Oscaro devint insensible à tous les problèmes matériels. Il était déjà un pur esprit. Le breuvage du professeur Levieupanez ne fut qu’un épiphénomène.


[21] Sur la côte est de Tahiti, un tunnel qui évite les projections marines sur la route de ceinture a été baptisé Oscaro Poincom.

[22] Les ancêtres.


Anouar Fichtre restait lucide. Il convoqua son vice-président, fit la paix avec lui, le désigna comme son successeur et lui demanda de choisir une vice-présidente qui aurait toutes les qualités. Il suggéra que sa propre épouse qui avait vingt ans de moins que lui ferait l’affaire. Le vice-président jura qu’il suivrait ces directives pleines de bon sens. Devant les médias, il proclama : « je viens de rencontrer, sans doute pour la dernière fois, le plus grand homme que la Polynésie ait connu après Pouvana’a a Oopa[23] ; sa vision de l’avenir du Fenua me permet de tracer plusieurs routes du tapa[24] à travers le monde ».


[23] Pouvana’a a Oopa (1895-1977) avait été député et sénateur. Il prôna le NON au référendum de 1958, ce qui déplut au Général. Il fut arrêté et exilé. La Cour de Cassation a annulé sa condamnation en 2018. Les autonomistes le considèrent comme le père de l’autonomie et les sécessionnistes comme le père de l’idée de la souveraineté.

[24] Le tapa est une étoffe qu’on obtient à partir d’écorces traitées et peintes.


La semaine suivante, Anouar ne put assister au conseil des ministres du mercredi. C’est pendant le compte-rendu de celui-ci devant les médias que la nouvelle tomba : le président Anouar Fichtre, entouré des siens et du curé de la paroisse Sainte-Thérèse, avait remis son âme à Dieu.


Après un court délai pour respecter la mémoire des défunts, les ethnopsychiatres les plus célèbres se proposèrent de venir étudier ces cas extrêmes d’autosuggestion. L’un d’eux publia un communiqué : « Le professeur Tobie[25] n’attend que son billet d’avion et sera à Papeete le plus vite possible ».


[25] Il s’agit sans doute du professeur Tobie Nathan, quatre-vingt-quinze ans en 2043.


Au cours de l’année 2045, un colloque serait organisé à l’UPF sur le thème : « comment arrêter de vieillir quand on est déjà vieux ». Soixante intervenants s’étaient inscrits dès 2044. Ils disposeraient chacun de 24 minutes pour exposer leurs recherches sur ce thème.


Le seul libraire qui subsiste en Polynésie a passé une commande anticipée de huit exemplaires de l’ouvrage qui serait issu du colloque.

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