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Triste comme un 15 février



Les mamies sont encore plus fortes que les mamans pour « humer » chez leurs mootua ce qui ne va pas. Et avec des mots bien à elles. La mienne, il y a déjà quelques lustres, me regarda dans les yeux et me dit tout de go : « toi, tu es triste comme un 15 février ». J’étais surprise, certes, mais le 15 étant le jour d’après le 14 (une lapalissade[1] disent les pédants) je compris que mamy avait décelé une petite peine de cœur chez la gamine que j’étais. Pour les olibrius[2] qui ne réaliseraient pas que le 14 février est la fête des amoureux, je le leur rappelle et les invite à préparer la prochaine Saint Valentin, à défaut d’avoir oublié la précédente.


Les notes ci-dessous sont générées automatiquement par notre service d’intelligence superficielle. [1] Une lapalissade = une vérité toute d’évidence telle que Monsieur de la Palice aurait pu en formuler. [2] Un olibrius est un individu stupide qui étale son ignorance. Dans les deux cas précités (lapalissade et olibrius), il apparaît une fois de plus que Maeva ne peut s’empêcher d’étaler sa culture et son mépris pour ceux qui n’arriveraient pas à sa cheville.


Je devais avoir une douzaine d’années, au collège de Nouméa, quand je trouvai dans mon sac de sport un petit mot ainsi rédigé : « Tu es très jolie. J’aimerais sortir avec toi. Ton Valentin ». J’avais quelques copines fort excitées à l’approche du 14 février, mais je n’y accordais qu’une attention limitée. Le carton trouvé dans mon sac me fit pourtant l’effet d’un électrochoc, pour deux raisons. D’abord, qu’un garçon me trouve jolie, cela me fit rougir et mon cœur se mit à palpiter. Un garçon sans doute amoureux de moi… je ne l’attendais pas si vite, tout en l’espérant. Ensuite, ce Valentin, le seul garçon du collège je crois qui portât ce nom, je le connaissais un peu. Le plus beau garçon de l’établissement ! Comme j’étais flattée. Je n’osais même pas en parler à mes copines : elles auraient été jalouses et seraient empressées de me le « piquer » ou du moins auraient essayé. Le lendemain, précisément le 14 février, j’exigeai de ma maman, ce que j’estimais être ma plus belle tenue, et un coup de peigne qui mettrait en valeur ma belle chevelure brune. Dans la cour du collège, je cherchai des yeux Valentin et l’aperçus dans un groupe de garçons et de filles. Je m’approchai, le cœur battant et n’hésitai pas à couper sa conversation avec je ne sais plus qui.

- Bonjour Valentin ! Je suis flattée par ton petit mot…

- Quel petit mot ? répondit-il sèchement.


Je lui montrai le petit carton.

- T’imagine quand même pas que je vais sortir avec une Kanak, une demi-Kanak ou même une huitième de Kanak ?

- Mais enfin Valentin, ce petit message…

- Passe ton chemin, Maeva !


Je crois n’avoir jamais été aussi humiliée. Le lendemain, mamy m’expliqua que le 14 février, tout amoureux se prétend Valentin et que, vraisemblablement l’auteur du message s’appelait Pierre, Jacques ou Philibert… J’eus beau regarder les autres garçons, je ne sus jamais qui m’avait adressé le premier compliment de ma vie.


Ma « première saint Valentin » fut donc rude. J’en connus d’autres.


Qui est donc ce saint que je ne saurais voir sans émotion ? Qu’a-t-il donc fait pour « patronner » ceux qui s’aiment et même sèment pour l’avenir ? Il y a beaucoup de saints cachés que l’Église ressort du placard de temps à autre en les parant de vertus que lesdits saints n’avaient sans doute pas, car nul n’est un saint pour sa caméra cachée.

Selon certaines traditions, il y aurait eu trois Valentin canonisés (quand on est le symbole des amoureux, mieux vaut être canon). En réalité, les docteurs de l’Église (ceux qui soignent les âmes et qui sont encore moins compétents que ceux qui soignent les corps) pensent (ils n’ont en fait que ça à faire) qu’en réalité il n’exista qu’un seul Valentin, un certain Valentin de Terni. Il finit martyr, c’est-à-dire qu’il subit le martyre (appréciez la langue française : un martyr c’est celui qui a souffert le martyre…), sans doute fut-il décapité. Et là vous comprenez en quoi les amoureux sont concernés par ce personnage. Il avait perdu la tête ! La sagesse populaire veut que l’amour rende aveugle ou qu’il fait perdre la tête ! L’Église romaine sait récupérer les douleurs et proposer des remèdes. Par exemple, il suffirait de visiter une dizaine d’églises dans le monde qui prétendent détenir des reliques (des bouts d’os ou des dents) du saint Valentin. Un moment de recueillement sur l’os occipital[3] de Valentin et votre amoureux volage reviendrait au foyer (parfois pour vous coller la beigne de votre vie).


[3] Os occipital = os qui forme la paroi postérieure et inférieure du crâne.

Je m’étais demandé ce que mamy voulait dire en profondeur. J’ai compris peu à peu. L’expérience, quand même, ça compte ! Il suffit que le 14 du second mois de l’année votre Valentin - à vous - ait choisi un resto que vous estimez incompatible avec ce que vous méritez. Il en va de même avec le cadeau, surtout si celui de l’année est moins somptueux que le précédent. Forcément, ça cache quelque chose ! Il suffit que vous ayez enfilé une tenue qui vous valorise à l’excès pour que le mec fasse une crise de jalousie (« ta jupe est trop courte », « ton décolleté, c’est pour le serveur ou pour moi ?… ». Ou mieux encore, qu’il fît entendre ce reproche (soit oralement, soit virtuellement) : « si au moins tu avais adopté une aussi belle tenue que ta voisine de gauche ». Insupportable amant, à renvoyer chez sa femme ou sa mère…


Bref, la fête promise finit parfois sur des déconvenues. Oui, le lendemain de la saint Valentin peut être triste. Mais il y a « mieux » que ça, je m’en suis aperçue un 14 février à Paris quand un monsieur qui passa dans ma vie comme un éclair m’emmena dans un restaurant fort réputé, ne figurant pas dans le guide du Routard. Tandis que le monsieur bavassait et me lassait vite, je jetai un regard alentour. Quelques couples avaient l’air vraiment heureux (la bonne personne à la bonne place et inversement). D’autres affichaient (ou au moins l’un des « conjoints ») un sourire manifestement forcé (la bonne personne n’était pas à la bonne place). On voyait poindre des questions dans les yeux : « où est l’autre ce soir ? se force-t-il comme moi à paraître content(e) ? ». Être deux quand on est dans un triangle amoureux, c’est sûrement frustrant, mais que penser de celles et ceux qui seraient plutôt dans la figure de l’icosaèdre[4] ! Et puis, il y avait la fille psycho-rigide… Je l’imaginais ayant préparé une série de fiches du type « Moi, Julie Keffier, consens au cours de ce repas à consommer deux ou trois verres de vin de plus qu’à l’accoutumée ». D’autres suivaient sans doute sur son consentement à monter dans la voiture du monsieur, à monter prendre un dernier verre avant d’appeler un taxi, à se délester de son pull si l’appartement était surchauffé… et je vous laisse imaginer la suite !

[4] L’icosaèdre est une figure géométrique ayant vingt côtés. Le goût de Maeva pour l’exagération est évident. Si on était dans le cas de figure évoqué, bien sûr, pas besoin de décapitation, l’individu perdrait vite la tête !

Il faut que je vous raconte ce qui m’est arrivé ce 14 février là à Paris.


Mathias, qu’il s’appelait. Une gueule d’ange, d’ange bavard qui, dans un premier temps, vous aurait fait prendre des vessies pour des lanternes. Rencontré peu avant Noël à la Maison de la Calédonie où il avait accompagné un copain caldoche à une exposition. Passée l’Épiphanie (un épiphénomène), je réalisais que ses paroles étaient aussi plates qu’une galette des rois. J’étais donc dans le processus rupture, quand il m’invita le soir de la saint Valentin. Un peu garce, je me suis dit qu’après tout, profiter d’un repas gastronomique dans un superbe décor, ça ne se refusait pas. Bien installée, je ne prêtais qu’une oreille distraite à sa logorrhée[5] jusqu’au moment où il se fit pressant : « il faut Maeva que nous concrétisions ce qui semble découler logiquement de notre relation ». « Diantre, diantre me suis-je exclamée intérieurement, quelle va être sa dernière invention ? ».

[5] Logorrhée = ensemble de propos désordonnés, peu crédibles et sur un ton rapide. Ici, manifestement, Maeva n’emploie pas le terme exact ou elle veut ridiculiser son Valentin du soir.

- Qu’as-tu derrière la tête ?

- Derrière rien, mais au-dedans plein d’idées auxquelles tu ne sauras pas résister, pas plus que tu ne cherches à me résister.

- Tu sembles bien présomptueux !

- Pas du tout. Je suis bien conscient de l’effet que je produis sur toi. Désormais, je le sens bien, tu ne peux plus te passer de moi.

J’hésitai à déterminer si j’avais à faire à un petit c… ou à un grand. Je choisis l’humour, tout en sachant qu’il y était inaccessible.

- Bien vu ! Tu devines mes pensées les plus intimes.

- Naturellement, je suis doué pour ça. Donc, on est bien d’accord, le temps est venu de passer à autre chose.

- Autre chose, c’est bien vague comme expression.

- Ne fais pas semblant, tu as bien compris et tu en rêves.

- De quoi rêvè-je donc ? J’aurais voulu qu’il pût lire comment j’écrivais le verbe rêver au présent de l’indicatif sous la forme interrogative. J’étais persuadée qu’il n’avait même pas remarqué mon intonation sur le è accent grave qu’il a confondu avec un « ais ». Aucune culture finalement chez ce type si superficiel.

- C’est simple, tu ne supportes plus de vivre ailleurs que chez moi. Tu as besoin de m’avoir constamment à tes côtés.

Un énorme point d’exclamation pointait dans chacun de mes yeux. Je supposais qu’il les voyait. Et non !

- Maeva, je sens ton émotion profonde. Tu savais que ce soir je te le proposerai, mais tu t’interrogeais sur le moment où je m’avancerai. Donc, maintenant, après les hors-d’œuvre et avant que le plat principal ne nous soit apporté, je te demande solennellement d’abandonner ton petit studio et de venir t’installer chez moi.

- Tu crois qu’on décide cela sans réflexion ?

- Tu ne peux pas réfléchir plus longtemps. Il faut que tu cesses d’être malheureuse en te languissant de moi.


Nous les filles, on a quelques cordes à notre arc pour conjurer le mauvais sort. Pas très glorieux, mais on a les armes qu’on peut. Je fis mine de ressentir une violente douleur au ventre. En fait, j’avais un haut-le-cœur désagréable. Je me levai, fis semblant de tituber un peu et je me dirigeai vers les toilettes, mon sac à main sous le bras.

- Excuse-moi, dis-je, je n’avais pas prévu que ça viendrait deux jours plus tôt. J’en ai pour une minute ou deux.


La configuration des lieux me permit de ne plus être dans son champ de vision. De nouveaux clients me servirent de paravent et je gagnai la sortie et hélai un taxi. Je dressai le bilan de la soirée en mettant en avant que j’avais échappé au pire des amoureux que Paris pût offrir. Fin de l’histoire. Il n’a jamais cherché à me recontacter.


Cette année, c’est toute autre chose avec Nunui, redevenu mon compagnon[6]. On avait eu une discussion au sujet de la saint Valentin.

[6] Référez-vous à la chronique parue dans TPM intitulée « En épis du non-sens »


- Tu sais, me dit-il, c’est une merveilleuse journée. J’avais apprécié celle qui nous avait rapprochés lors de notre première idylle (j’avais eu la sottise de rompre celle-ci et le bonheur de la reprendre peu après). On a beau affirmer que c’est « commercial », néanmoins si on peut s’offrir une soirée exceptionnelle, ça vaut le coup si on s’efforce d’être original.

- Ne me dis rien de ce que tu prépares !

- Tu le sauras toujours assez tôt. Tu sais (il utilisait souvent cette affirmation qui chez lui voulait dire « je vais t’apprendre quelque chose ») les restaurateurs, les bijoutiers et les fleuristes ont intérêt au turn-over des couples.

- Pourquoi donc ?

- C’est simple. Si les couples qui se formaient restaient pérennes leur chiffre d’affaires baisserait automatiquement.

- Explique-toi.

- Je ne voudrais pas être cynique mais il est évident que l’amoureux transi est prêt à beaucoup dépenser pour éblouir la dulcinée qu’il lui croit destinée. Avec les années en serait-il encore ainsi ? Sûrement pas !

- Là, Nunui, tu me déçois. D’une part, avec les années, vient aussi l’aisance financière, d’autre part tu laisses entendre que dans quelques années tu ne seras plus aussi attentif à ma personne…

- Détrompe-toi Maeva. Tu en sais assez sur moi et mon désir de casser les codes comme on dit parfois. J’ai un objectif avec toi : ne jamais laisser s’installer la routine.


Il est exact qu’avec lui, tout est toujours simple et nouveau à la fois. Sa délicatesse me touche constamment. Qu’allait-il me proposer ce 14 février ? J’étais convaincue qu’il trouverait de quoi me surprendre et que l’an prochain il en serait de même et ainsi de suite. Avec Nunui, la formule éculée « on s’aime aujourd’hui, bien plus qu’hier et bien moins que demain » a un sens. Je t’aime mon Valentin.


Adorable image sur laquelle, à côté du cœur,

il y a les cordes et le nœud qui se resserre sur l’un ou l’une des épris de l’autre…




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