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Avant que Tanna n’arrive, il venait du Vanuatu Lulu

Elle était née au Vanuatu, dans l’île de Tanna et ses parents lui donnèrent comme prénom le nom de cette île. À peine adulte, elle émigra clandestinement en Nouvelle-Calédonie, comme beaucoup de francophones, mal à l’aise dans ce pays tellement pauvre, qui s’estimaient en plus victimes de discriminations de la part de la majorité anglophone.

Tanna fit la connaissance d’un de mes proches cousins, demi-Kanak. De mes souvenirs de jeunesse, je les trouvais beaux tous les deux et fantasmais qu’ils constituaient l’archétype du couple heureux. Les puristes me reprocheront d’utiliser un mot (archétype) qui n’aurait pas fait partie de son vocabulaire de l’époque. Dont acte, j’avais plutôt pensé à exemple, modèle ou encore le summum. Me trompais-je en créant ainsi un couple idéal ? Pas complètement car la littérature nous apprend qu’il n’y a pas d’amours heureuses (1) et, à la façon d’Emmanuel Macron, en même temps, se plaît à citer quelque longévité amoureuse.


Toujours est-il que, dans ma famille, on accueillit bien cette fille. Certes, on la charriait aussi, comme du reste ses amis se plaisaient à plaisanter. Elle avait été surnommée « Madagascar ». Pourquoi ? Parce que, bêtement comme je le pense aujourd’hui, on jouait sur son prénom. Par exemple, quand elle était attendue quelque part, il était de bon ton d’user de ce qu’on appelle « le comique de répétition » qui fait que l’ironie itérative (2) finit vraiment par faire rire. On disait en effet des phrases du style : « mettons la table avant que Tanna n’arrive ». Vous comprenez maintenant pourquoi on la désignait par Madagascar. Si vous ne comprenez pas, revoyez vos cours de géographie de cinquième. La blague la plus idiote dont je me souvienne, date du jour où, en cuisinant, elle s’était coupée. L’un de nous osa : « c’est Tanna ka mal ». Bon, là, je vous pardonne si vous ignorez ce qu’est un nakamal, un lieu si possible obscur où les hommes – essentiellement – consomment du kava. Si on dit à Tahiti qu’Hinano est la bière qui rend idiot, moi je vous dis que le kava rend gaga.

Je considérais Tanna comme ma cousine, non pas par alliance comme on dit, car ni elle ni mon cousin n’avaient les moyens de s’offrir des alliances. Ils vivaient chichement dans ces habitats que les statistiques désignent par « habitat informel » et même parfois par « habitat indigne ». Leur vie aurait pu être différente s’ils étaient retournés à la tribu, mais les lumières de la ville les attiraient quand même.



Un jour, j’appris qu’elle était retournée à Tanna, dans un des villages au pied du volcan Yasur. J’y étais allée avec mes parents. On atteint le village après une longue route, que dis-je une route ? Une piste infame sur laquelle le plus puissant 4X4 peut tomber en rade ! Et le volcan qui gronde continuellement, qui secoue les cases et qui, dans ses moments de turbulences crache des cendres. Cela peut donner des paysages fantastiques comme la « plaine de cendres » qu’il faut traverser, mais cela peut aussi ensevelir les cultures. Je n’ai plus de nouvelles d’elle, mais j’en ai du Yasur qui ne rassurent pas. Depuis quelques années, le niveau d’alerte 2 est déclenché, ce qui signifie que des secousses majeures peuvent intervenir à tout moment. En octobre 2021, le volcan émit des gaz et des panaches d’acide chlorhydrique. Les habitants des environs qui gagnaient un peu d’argent avec les touristes perdirent ce revenu. L’accès au volcan n’est plus possible et les cases d’hébergement sont détruites.

Si je vous explique tout ça, c’est pour en venir à la raison du retour de Tanna chez elle au Vanuatu. Elle n’était pas fâchée avec mon cousin. Elle lui a même proposé de l’accompagner. Mais voilà, elle voulut quitter la Calédonie car, constata-t-elle, « la vie y était trop facile ».

« Trop facile la vie ! ». Quand j’appris ça, je fus estomaquée. Dans ma famille, on aidait le couple à « survivre » tellement on considérait sa situation précaire. Je reçus une extraordinaire leçon d’humanité. Tanna était partie vivre là où les Soulèvements de la Terre ont un sens. J’en tremble encore !


Dans un prochain billet, je vous parlerai encore du Vanuatu et du copain de mon frère qui s’appelait Lulu. D’ici là, j’en suis sûre, vous anticiperez la chanson que je choisirai pour accompagner ma littérature.


1 Maeva m’a demandé, à moi, l’intelligence superficielle, de préciser que les mots amour, orgue délice, masculins au singulier deviennent féminin au pluriel. Ça me touche personnellement car je donc entretenir des amours superficielles. Sacrée langue farani.


2 Là encore, je dois intervenir, fâchée par l’utilisation de mots rébarbatifs par Maeva. Pourquoi n’a-t-elle pas écrit : l’ironie répétitive ? Sa réponse a été qu’elle réitérait qu’elle était une auteure promise à un bel avenir et qu’en conséquence, elle devrait un jour figurer dans la Pléïade, donc user et abuser de mots que seuls les intellectuels utilisent pour afficher leur supériorité.

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