Il y a des hommages de pure façade lors du décès de telle ou telle personnalité.
On les décèle facilement. Et il y a des hommages qui laissent apparaître qu’ils
évoquent une personnalité exceptionnelle. Et c’est le cas de cette femme kanak,
professeur de littérature, indépendantiste notoire, membre pendant vingt ans des
gouvernements collégiaux de la Nouvelle-Calédonie. Elle réunissait pourtant tous
les éléments qui auraient dû la mettre au ban de la « bonne société » calédonienne.
Mais voilà…
Voilà ce que je peux vous expliquer.
Par Pkobel — Travail personnel, CC BY-SA 4.0
Le parcours de Déwé se situe dans la lignée de ces Kanak qui avaient bénéficié
d’un enseignement quasi exclusivement confessionnel avant 1945 et qui avaient
compris que l’écriture serait une arme qu’ils retourneraient contre le système
colonial. Ils n’étaient pas nombreux, mais ils entretinrent une flamme différente et
complémentaire à la fois de la tradition orale. La poésie les attirait, sans doute parce
qu’elle exprimait plus facilement les sentiments du peuple kanak face à ceux qui les dominaient et ne les comprenaient que… exceptionnellement.
Ces intellectuels kanak surent préserver les langues vernaculaires, si nombreuses (27 dit-on) et
utiliser la langue française comme langue de médiation. La littérature kanak fut
donc une littérature engagée et c’est dans cette lignée que la jeune Déwé partit
étudier en métropole.
De sa poésie, je ne vous parlerai guère. Elle n’est pas toujours accessible pour
ceux qui ne sont pas imprégnés de la culture kanak. Je retiendrai seulement son
premier poème de 1970. De façon fort allusive, elle décrivait une case en ruine,
mais elle terminait par ce vers :
Il est temps de repartir.
Ainsi, elle s’engagea dans le Palika (traduction douteuse mais significative : La
Mélanésie insoumise) qu’elle représenta au sein de gouvernements successifs. Là,
elle donna sa mesure en concrétisant ses combats pour les femmes (kanak en
particulier), pour le maintien sur les terres mélanésiennes, sur la survivance des
langues vernaculaires. Elle le fit à la façon complexe dont se servent de la religion
les indépendantistes du Caillou : un facteur de fraternité et aussi un combat pour
que ses principes se traduisent dans les faits.
Je me souviens qu’elle aimait rapporter un dialogue entre un Kanak et un « vieux »
calédonien blanc contenu dans un ouvrage de Wéniko Ihage (directeur de
l’Académie des langues kanak) qui se terminait par un constat. Un Kanak ne sera
jamais un Caldoche et inversement, mais le Kanak ajoutait que :
« une case kanak est toujours symboliquement ouverte à la route, prête à accueillir l'étranger pour partager la fraternité ».
Voilà pourquoi, en Nouvelle-Calédonie, on peut exprimer des idées qualifiées
ailleurs de radicales ou d’extrémistes et être entendu(e) de toutes parts.
Merci Déwé Gorodey d’avoir illustré ce fait. Je t’en suis reconnaissante.
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